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Citations sur Avec vue sur la mer (14)

p.139 : " Alors un souffle balaya la mer qui se convulsa et, d'un coup, devint quelque chose d'innommable. Le vent frappa la côte de plein fouet, faisant sonner les falaises comme des orgues géantes, arrachant à la lande des plaintes déchirantes...
Un bateau du port de Goury rompit ses amarres, traversa le plan d'eau en une course précipitée et pataude d'oiseau aquatique cherchant l'envol, franchit une plage de galets où il laissa sa quille, et escalada une colline en haut de laquelle il s'arrêta enfin, le nez englué dans une bouse de vache."
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La mer à Deauville. Chez nous, on disait ça d'un trait, sans respirer, cul sec et à la russe, comme quand on s'envoie un verre de vodka. Ce qui fait que les gens comprenaient lameradovil. Comme un nom de médicament. Ils n'avaient d'ailleurs pas complètement tort : lameradovil fut longtemps le remède familial par excellence, particulièrement souverain contre les maladies estivales.
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je n'ai jamais vu la mer Rouge, mais je sais bien qu'elle n'est pas rouge. Pas plus, d'ailleurs, que la mer Noire n'est noire. La mer n'est rouge, vraiment rouge, qu'à Ecalgrain à une certaine heure, brièvement, quand le soleil couchant, comme un tube de peinture que l'artiste écrase, dégorge brusquement une coulée de sa pâte brillante et fluide, d'un incarnat si ardent, si dévorant que les plus vives couleurs de la palette semblent tout à coup d'une tristesse de suie.
La "rougie" de la mer se propage d'ouest en est, courant comme un incendie. Portée par les vagues, elle atteint le rivage, submerge l'ourlet de la plage, s'étale sur les galets en lave incandescente, embrase les lacets de la route, escalade les falaises où elle empourpre les bruyères, l'ocre brune des fougères, le nankin des ajoncs. Le rouge investit tout, faisant du moindre gravier un rubis, transformant les bouquets d'ombelles en forêt de petits érables qui flambent dans la gloire fugitive de quelques minutes d'été indien à l'échelle d'un talus ou d'un fossé. J'ai même cru voir, perché sur un rocher où il faisait sécher ses ailes, un cormoran virer du noir à l'écarlate.
Ce soir-là, mon premier soir de Hague avec Chantal, la "rougie" ne fulgura qu'une poignée de secondes : libérée par la tempête en fuite dont la violence continuait à rôder quelque part sur la mer, une brusque déchaînée de vent étouffa les derniers brasillements du soleil sous des nuées basses, épaisses, écumantes, qui dévalaient du ciel en roulant sur elles-mêmes comme une avalanche de neiges violacées.
Puis les nuages se regroupèrent, se soudant les uns aux autres à la façon des pièces d'un puzzle. Il n'y eut bientôt plus qu'une sorte de maussaderie, de couche uniforme de grisaille d'où se mit à tomber une pluie fine.
Le phare de la pointe Quesnard, au nord d'Aurigny, s'alluma.
Des moutons à tête noire s'étaient évadés de leur pâture pour descendre dans le fond d'un ravin, attirés par l'herbe grasse qu'y entretenait une source. Une paysanne et son fils s'efforçaient de les ramener sur la colline en les houspillant dans une langue courte et rauque, fustigeant d'un jonc leurs fesses laineuses, bourdonnantes de mouches.
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Le voyage à Deauville n'ayant lieu que les jours de grand beau temps, la mer m'est longtemps apparue comme l'élément le plus sage, le plus doucet, le plus anodin, le plus lénifiant du monde. Une sorte de hamac liquide tendu entre deux côtes.
C'était une mer à peu près sans bateaux, sinon les esquifs gonflables dont usaient les enfants et, quelquefois, le sillage tranquille d'un chalutier qui faisait route vers la criée de Trouville. Plus rarement, un transatlantique à coque noire et superstructures blanches quittant Le Havre, destination New-York.
J'ignorais à quoi la mer pouvait ressembler la nuit venue, ou lorsqu'il y avait brume ou tempête. Pour ça, je devais m'en rapporter à mes livres.
Je lisais déjà beaucoup, surtout des récits maritimes - Le Cargo du mystère, Le Bateau des hommes sans sommeil, Le Survivant du pacifique, Une ville flottante, Le Secret de la Mary Céleste. Pour la plupart livres sombres et hantés, exsudant de moites senteurs de calfat, de charbon mouillé, de rouille et de sang qui, loin de m'asphyxier, me dilataient les bronches et m'ouvraient les poumons. Je truffais mes premières rédactions de citations de Roger Vercel et d'Edouard Peisson, ce qui me valait, de la part de certains profs pour qui il n'y avait pas de salut en dehors de Rousseau, Voltaire et Chateaubriand, des appréciations du genre : "Pour dissimuler sa totale ignorance du programme de lecture, l'élève Decoin invente des auteurs qui n'existent pas".

Ma foi, la dernière phrase est peut-être un peu exagérée de la part de Didier Decoin, mais elle m'a rappelé une rédaction dans laquelle je parlais de "beurrées" que nous faisions griller devant le feu de cheminée, moi qui, arrivée depuis peu en France métropolitaine, découvrais des mots nouveaux. Hélas, celui-ci était sans doute trop "régional", car le professeur de français me le ratura sauvagement. Cela fait partie des choses qui peuvent frapper un enfant au point qu'il ne l'oublie jamais. Et, bien longtemps après, j'ai trouvé une espèce de revanche en lisant une phrase d'Enric Gomà, dans son livre "El català tranquil", où il parle de certains philologues catalans : "Pour eux "personne ne connaît jamais la langue aussi bien qu'il le faudrait, suivant une croyance très partagée (et très fausse). Ce qui place la langue au même rang qu'une religion ancestrale : les initiés suivent un chemin ascendant, escarpé et sinueux, qui culmine vers des connaissances secrètes et des rituels occultes, à l'image des adorateurs de Mitra dans la Barcelone du IIIe siècle."
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A cette époque, Chantal suivait des cours d’histoire des jardins au potager du Roi à Versailles. Elle avait appris que l’art du jardinage ne se limite pas à faire pousser des plantes. Le jardinier pratique la géométrie avant la botanique, il est architecte autant que peintre. Davantage, même. Concevoir et entretenir un jardin, c’est d’abord raisonner l’espace, le structure, jouer des perspectives, donner une lisibilité et un sens au chaos.
C’est aussi travailler non pas contre un environnement, mais avec lui : faire fleurir des edelweiss au Sahara ou des agaves au Groenland relève du domptage, pas du jardinage.
Gauguin en a fait la curieuse expérience aux Marquises : ayant importé de France des graines de tournesol dans l’idée de composer quelques natures mortes plus classiques que les fragment de paradis terrestre qu’il peignait (et que boudaient les acheteurs), il avait constaté que les grandes fleurs qu’il avait semées venaient malingres et d’un jaune pisseux. Ni le sol ni le climat n’étaient pourtant en cause : simplement, les tournesols n’étaient pas chez eux aux Marquises, et ils manifestaient leur désapprobation d’y avoir été exilés en affichant une tristesse de vieilles marguerites effeuillées.
Forte de cet exemple, Chantal ne voulait pas d’un jardin de plantes forcées, soumises et asservies, mais d’une population végétale issue du paysage haguais et se fondant en lui.
- Puisqu’on aime cette maison, me dit-elle, on va lui faire un jardin qui lui ressemble. Tellement à son image, tellement sa prolongation que, sauf les fois où il pleuvra, on sentira à peine la différence entre dedans et dehors.
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Le cercle de lumière que décrit le pinceau du phare révèle un rideau de pluie qui ondule sur la mer, scintillant et crépitant comme s’il était constitué de perles de verre. Le vent de suroît touche la côte avant l’averse. Les raquettes des palmiers se renvoient ses rafales comme des joueurs de tennis se mitraillant de balles pendant les échauffements.
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En quittant la maison, j’emporte des souvenirs à la Hulot, crépuscules incendiés, agapanthes bleues, peaux salées, galets brûlants roulant sous les pieds nus, senteur des herbes miellées, siestes légères sur les chaises longues copiées sur celles du Queen Elizabeth, menuets d’abeilles en petits gilets de majordome allant et venant sous les tentures gris sombre des orages, ombres mauves, amertume anisée des salades estivales, fourmis ailées montant en procession du dessous des pierres chaudes pour un premier et dernier vol d’amour et de mort, jacasseries huileuses des goélands, et tout là-bas, dominant le froissement de soie du ressac, la cognée un peu essoufflée du diesel d’un chalutier.
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La mise au propre d’un manuscrit implique en effet un nettoyage drastique, une épreuve du feu, un brûlage impitoyable du superfétatoire et du redondant, un débroussaillage qui doit conduire à ce que François Nourissier appelle joliment « l’écriture maigre » - ce langage diaphane, ces mots lévriers, ce verbe souple et coupant comme les graminées des dunes, cette manière de tout montrer sans presque rien dire.
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Nous quittâmes Me B… avec la conviction que, derrière son apparence de notaire de province affable et bon vivant, se dissimulait un dangereux pervers qui, ne pouvant trouver sa jouissance qu’en sapant le moral de ses concitoyens, utilisait le découragement comme d’autres l’arsenic. Je l’imaginais assez bien sous les traits de Michel Serrault dans un film de Chabrol, quittant son étude courbé sous le crachin, se dirigeant en ricanant vers quelque brasserie où il avait ses habitudes – et surtout ses victimes auxquelles il instillait subrepticement des doses de pessimisme qui, pour n’être pas létales, étaient mesurées de façon à provoquer des lésions irréversibles dans leur aptitude au bonheur.
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« J’ai fait ce livre pour dire que je n’habite pas une maison mais que je suis habité par elle… »
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