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Citations sur Petit éloge des amoureux du silence (39)

Personne n'ignore que les cancres sont à leur affaire dans les classes turbulentes, où les élèves méritants se noient. Le jacassement distrait le groupe, le chahut le désintègre. Faute de silence, pas de réussite. Les monastères fondent la piété sur cette règle évidente : pour accueillir la parole divine, il faut se taire. Pareillement, le silence s'impose pour accueillir celle du maître. Impératif battu en brèche : les salles de cours sont des volières. Interdire aux élèves de téléphoner en classe semble à beaucoup un sacrilège. Enseigner, métier à risques : quelle meilleure preuve du discrédit qui fait du savoir une guenille et du silence un joug ?
Les élèves transportent la société tout entière dans leurs cartables : ses gadgets, ses PlayStation, ses iPad, ses jeux en ligne, son tumulte.
Il est certain que, dans un environnement bruyant, l'inspiration s'alourdit et que les méninges se traînent. Élaborer un plan complexe requiert une paix confiante. Même un questionnaire à réponses multiples en réclame. Ni l'attention ni la raison ne résistent aux ailes d'un moustique. Pascal, dans ses Pensées, à propos du philosophe: «Ne vous étonnez pas s'il ne raison ne pas bien à présent ; une mouche bourdonne à ses oreilles ; c'en est assez pour le rendre incapable de bon conseil. »
Il faut vivre en live. La vitesse croissante de circulation des données, des informations, des transferts financiers, des échanges commerciaux nous dérobe le temps que pressure l'actionnaire. Les délais sont proscrits, la flânerie paresseuse, la syntaxe superflue. Les longues phrases, avec leurs entrelacements de propositions, rejoignent la langue châtiée au rayon du temps perdu. Proust qui, écrivant dans son lit, boulevard Haussmann, protégé des bruits de la rue par les plaques de liège qui couvraient les murs de sa chambre, parle dans Sodome et Gomorrhe de « la plénitude nourricière et
charmante du silence », n'aurait plus même l'idée d'écrire La Recherche. Trop de subtilités, trop de détours. On le prendrait pour un esthète, pour un nuisible. Des phrases longues d'une page! Solution : en faire un téléfilm, de qualité si possible.
Un loisir improductif est, d'un point de vue économique, un scandale. On a troqué la plume contre l'ordinateur et le plomb d'imprimerie contre l'électron : gain de te mps fabuleux. Mais au prix fort : la surface des écrans supplante les plis du papier, la vidéosphère la graphosphère, la vie immédiate la longue durée. Les experts succèdent aux savants, les bateleurs aux poètes, l'émotion réflexe à la pensée construite, l'usage du pidgin à la maîtrise de la langue, et l'apoplexie sonore aux méditations.
Quant à ceux qui souhaitent encore lire, écrire, ou simplement converser comme des sages, qu'ils vivent sous cloche.
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On peut aussi se boucher les oreilles. [... ]
Seulement, la perspective de travailler avec des obturateurs plantés dans le cérumen vous décourage [ ... ]

Pour respirer, la pensée a besoin d'air. La frustrer de l'atmosphère ambiante l'étrangle. Le silence artificielle ampute les facultés.
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Il faut être sourd, distrait ou mort pour ne pas s'apercevoir que l'époque est au vacarme. (...)
A l'instar des glaciers, des grands singes anthropoïdes et de la tulipe sauvage, le silence est une espèce en voie d'extinction. (p. 16)
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Parlons franc : le bruit varie. Ce monstre aux mille pattes est affaire moins de lieux que de moments. Cet être difforme connaît des pauses et l'on trouve encore du silence, même dans les capitales surpeuplées, du moins dans les quartiers prospères. Je dis pas" le " silence, mais " du " silence . Un bonheur provisoire, à certaines heures, interruptions en équilibre instable dans le flux des ondes sonores.Périodes de soulagements vite ébréchées, colis marqués "fragile" entre deux chutes.
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Flânez par beau temps dans un quartier rempli de jardins. L'un rase son gazon avec sa tondeuse à propulsion arrière, l'autre désherbe une allée au coupe-bordures, un autre taille sa haie à l'élagueur télescopique, un autre décape son perron au Karcher, scinde un tronc d'arbre à la tronçonneuse thermique, dilacère des branchages dans son broyeur à turbine. Coupe au carré, que pas un brin ne dépasse. Traitement martial de la nature que ces jardiniers à pistons et courant alternatif prétendent honorer alors qu'ils la scalpent.
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On traite de mal embouchés ceux qui détestent le bruit. On se gausse des vieux qui s’en plaignent, voire on les méprise. Mais c’est oublier qu’il faut beaucoup d’énergie pour vivre, et beaucoup d’énergie encore pour supporter les sons abusifs. Le lent retrait de la vie offre une réponse à l’angoisse du néant, tout comme dans les siècles passés, les libertins accueillaient la foi dont ils ricanaient jusqu’alors. En me noyant dans l’ici et le maintenant de l’agitation, le bruit m’inflige une leçon de réalité que je voudrais méconnaître. C’est plus qu’une gêne : une souffrance.
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La vie, le plaisir de vivre, ce n'est pas entendre la télévision du voisin malgré les deux étages qui nous séparent, ni les flonflons de la fête foraine pendant des mois, ni le rap ou les airs d'opéra à toute heure dans l'appartement du dessus, ni le babil hurlé des téléphones mobiles. Rien de vivant dans le bruit, seulement de la violence.
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Le silence (...) régénère. Par lui, on renaît. (...)
Dans ce monde qui thésaurise chaque instant, le silence n'est jamais donné, il se donne. Il a tout de la grâce: il s'offre au hasard des heures. (p. 35)
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On traite de mal embouchés ceux qui détestent le bruit. On se gausse des vieux qui s'en plaignent, voire on les méprise. Mais c'est oublier qu'il faut beaucoup d'énergie pour vivre, et beaucoup d'énergie encore pour supporter les sons abusifs.
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Dans les universités, les étudiants désertent les sciences pour la banque, le marketing et les stratégies commerciales. Ils abandonnent la littérature, grande consommatrice d'heures studieuses, au profit de la com, cette roublarde. (p. 62)
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