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Critique de mariecesttout


Un grand merci à Fanfanouche pour m'avoir fait découvrir le dernier livre de la collection L'un et L'autre, créée en 1989 par J. B. Pontalis. Peu de temps après ma lecture, dans la même collection, de l'admirable" Sur la scène intérieure "de Marcel Cohen.

Tout part, oui, d'une photo d'octobre 1954, d'un petit garçon la raie sur le côté, bien peigné ( on devine la mère derrière..) qui regarde son père et vient sans doute de lui dire quelque chose, car le père baisse la tête pour l'entendre, on sent la complicité de l'homme et de l'enfant. C'est l'auteur et son père.
Le père auquel est consacré une grande partie du livre, albinos, malvoyant, était représentant en librairie et arpentait les trottoirs , pliant sous le poids de sa grosse serviette pleine de livres prêts à être déposés chez les libraires.
Très vite, dans ce récit d'une enfance, on passe à la maison à S. rue Chanzy, Yvelines. La banlieue des années 50, ses pavillons avec jardins potagers., sa vie de quartier, le vélo jusqu'à la gare..

"Par quels liens perdure un lieu autrefois familier quarante ans après qu'on l'a quitté? Une ville, un village, un bourg, tels que, repassant par les rues et les avenues connues et qu'on ne reconnaît plus, puis par celles qu'on n'a pas connues, y revenant, l'émotion nous saisit, si poignante qu'on pleure? Au bout de tant d'années d'absence, je m'attendais à une émotion brutale. Mais ce ne furent pas des pleurs, seulement un sanglot.... L'indicible sanglote en nous. ce qu'on n'a pas dit, ce qu'on voulait dire, ce qu'il aurait fallu dire, le silence volontairement gardé ou gardé malgré soi, par crainte, pudeur, agenda chargé, négligence.. "

Souvenirs d'une enfance heureuse et d'un père aimant. Un vrai père: " La vérité d'un père s'éclaircit après- quand il n'est plus. "

Enfance heureuse, et enfance baignée de culture:
"La culture tenait une place centrale dans l'action menée par le maire de S. le théâtre en priorité. C'étaient les années Malraux.. l'art embellissait les loisirs, la littérature rayonnait, les librairies phagocytaient Le Quartier latin, la presse écrite rivalisait avec la radio pour un lectorat insatiable.. C'est à S. dans la salle des fêtes Gérard Philippe flambant neuve, que Patrice Chéreau fit ses premières armes de metteur en scène avec Les soldats de Jakob Lenz où les projecteurs d'André Diot inventaient des jeux de lumière comme on en a jamais vu. .. les dîners se déroulaient toujours en famille. On débattait de tout en soupant.. on s'exerçait au frottement d'idées, on s'écoutait, on se chicanait, le ton montait parfois, on se réconciliait, on plaisantait, on était sérieux, on riait, tous les soirs..
..Nous baignions dans les livres.. Nous disposions en libre service de nourritures spirituelles et terrestres. C'était une éducation à l'ancienne, ventrue, hospitalière, soucieuse de tous nos appétits. "

Un aparté pour saluer Emmanuel Ethis , président de l'université d'Avignon et des Pays du Vaucluse, avec son patch culture.qui écrit dans un entretien de Télérama que «  les déterminants culturels sont plus importants et puissants que les déterminants sociaux. Or, si l'on ne peut pas jouer sur les déterminants sociaux, on peut améliorer l'environnement culturel ". Et oui..Ce qu'ils font en offrant pour 5 euros un accès à tous les lieux culturels d'Avignon, y compris pendant le festival ( qui a eu chaud, dernièrement..)

Jean Michel Delacomptée nous décrit à quel point ces lectures d'enfance et d'adolescence, cette accession à la culture qui coulait de source, est à la base de toute sa vie. Il ouvrait les cartons que recevait son père, un vrai régal! Bon, de temps en temps, il en monnayait certains pour se taire de l'argent de poche, mais c'était aussi l'âge des bêtises: "Davantage que sa colère, la brutalité de la déception que je perçus sous sa mine étrangement stupéfaite, comme s'il assimilait ma conduite à un acte barbare, me fit comprendre pour de bon que les livres, au- delà de leur valeur marchande, en ont une autre, spirituelle, civilisatrice, qui ne se monnaie pas."

Ce n'est que tardivement que l'auteur parle de sa mère.. qui a passé à S. "quarante ans de déplaisir de ne pas vivre ailleurs."
Sa mère.. une rescapée, toute sa famille a péri dans les camps de concentration, et qui n'en conçut aucun ressentiment à l'égard de la France.
Sa mère qui leur faisait la lecture, traduisait des textes anglais, latins grecs et allemands. Sa mère , sa part juive et tout ce que cela signifie dans l'histoire de ses grands-parents et oncles qu'il n'a pas connus.

"Tout le monde est composite. Pas métissé, c'est à dire ni noir ni blanc, mais blanc et noir, à quoi s'ajoutent éventuellement d'autres couleurs...
Ce caractère composite se superpose à la dualité qui, elle, m'est depuis longtemps évidente entre un versant plébéien largement hérité de mon enfance à S;, et un autre, élitiste, principalement hérité de l'école et de mes parents."
Et c'est là qu'il rejoint Pontalis, réticent à toute classification, lui , à qui «  toute logique de territoires aux limites tranchées est étrangère."

Véritable chant d'amour à une enfance, à des parents, c'est un très beau livre.

"Il m'a fallu très longtemps avant de saisir que j'avais pris pour des victimes ces deux êtres particuliers que furent mes parents.".
L'un , très handicapé, "  surmonta sans relâche sa faiblesse congénitale ".
"L'autre, sauvée par miracle de la déportation où périt toute sa famille, s'interdisant de céder au ressentiment, ne désespéra jamais de l'humanité, et se fit une loi de conserver en toutes circonstances l'optimisme sans lequel une part de nous s'éteint avant notre mort même.
Je voyais des victimes en ces vainqueurs. Et souvent on commet cette faute. Innombrables sont les gens qui, face au malheur, font preuve de ressources dont souvent ils se croyaient dépourvus."

En exergue: Georges Perec, W ou le souvenir d'enfance:
"J'écris: j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leur corps; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture: leur souvenir est mort à l'écriture; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie."








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