Vidéo de Jean-Bertrand Pontalis
Et, ne l'oublions pas, en ce temps où l'on vante à l'envi la créativité de tout un chacun, la poésie est une science exacte, la peinture un métier et la littérature un style !
Il pleut. Julien trouve de la douceur à la pluie comme au chagrin quand il cesse d'être douleur pour entrer en convalescence.
Pourquoi ne parvenons-nous pas à tenir notre mort et celle de ceux que nous aimons pour naturelles? Les arbres, même centenaires, finissent par mourir; chez les animaux, certains vivent vieux, comme les éléphants, la plupart, quelques années; un insecte qui a la grâce d'une libellule, quelques heures, il porte le beau nom d' "éphémère". Alors pourquoi nous, êtres éphémères, voyons-nous dans la mort un scandale? Pourquoi refusons-nous d'être soumis à la Loi de la Nature? Elle devrait prévoir quelques exceptions...
Combien de fois me suis-je dit et redit ces mots de Phèdre, en essayant de les faire miens : "Est-ce un si grand malheur que de cesser de vivre?"
( En parlant de son frère.... )
J'ai songé à te dédier ce livre dont j'écris les premières lignes. Vite, je me reprends: je ne vais quand même pas, maintenant que, mort, tu ne peux plus me nuire, chercher à me réconcilier. Il y a de l'hypocrisie dans cette pratique courante: comme on les aime, nos morts, alors qu'on avait tant à s'en plaindre quand ils étaient vivants!
Je me refuse à admettre que la perversion soit une forme de sexualité comme une autre.
Ce livre-ci n'aura été qu'une navigation sans but et sans boussole, qu'une promenade rêveuse comme celle que suscite la vue d'un arbre, d'une fleur, d'un écureuil roux ou d'un lapin apeuré - à défaut d'un ange-oiseau venu du ciel -, le long d'un sentier au coeur d'une forêt, ou lorsqu'on trace son chemin à travers champs sans savoir où nos pas vont nous conduire. Dans ces pages, ce furent une peinture, une photographie, quelques rencontres passagères, une lecture parfois, la source de la rêverie.
Quel bonheur, quelle promesse de bonheur dans la différence sexuelle? Quelle chance que les femmes ne soient pas faites comme nous, les hommes!
Etre emporté hors de soi certes peut rendre fou, de colère, de dépit, mais nous permet aussi d'être traversé par un désir insensé, de connaître l'amour fou -ou sage s'il en existe.
Je plains narcisse. J'éprouve de la pitié pour Hermaphrodite. Ils ignorent que la petite différence fait toute la différence, et que c'est elle qui anime nos corps et, de part en part, tout notre être.
On a quelque peu oublié aujourd'hui, où il convient de célébrer le désir ("ne pas céder sur son désir", disait Lacan qui effectivement ne céda pas), l'importance qu'accorde Freud à l'idée de renoncement.
Renoncer à obtenir tout immédiatement, consentir à cesser d'être His Majesty the Baby, renoncer à conquérir et à posséder la mère, à supprimer père et frères, reconnaître notre finitude, admettre que nous ne sommes pas immortels et que nous ne sommes ni le centre du monde ni le centre de nous-mêmes, découvrir à nos dépens les limites de notre pensée... La liste est longue e il ne nous plaît pas de voir dans notre vie une succession de renoncements. Telle est pourtant la condition pour que cette vie invente et s'invente, soit toujours en mouvement au lieu de rester à jamais fixée à ses premières attentes, à ses premiers objets d'amour et de haine.
Nul ne peut s'arranger avec la mort. Mais chacun de nous trouve une issue pour s'arranger avec les morts.
Le livre dont j'écris ici les premières lignes, j'aimerais qu'il devienne quelque chose comme une mémoire - donc une fiction - rêveuse, qu'il soit une traversée d'images, de souvenirs, d'instants, qu'il ressemble à la rêverie à laquelle s'abandonne le dormeur éveillé, avant que l'excès de clarté n'y mette fin. Il sera bien temps alors d'affronter le jour.