Très vite, on culpabilise, et ça n’arrange rien. Il y a les handicapés, les cancéreux, les sidéens, tous ceux qui viennent de perdre quelqu’un. De quel droit peut-on se sentir mal, être si mal ? Et puis c’est beaucoup plus stupide encore, mais on se sent vexé. On ne meurt pas.
...Mais dans le mot -Portique- dormait aussi l'idée d'une sagesse hellénique. On y voyait déambuler des philosophes en robe blanche, exposant leur pensée avec une parfaite maîtrise du corps qui traduisait la paix de l'âme. Peut-être sous son portique Sébastien retrouverait-il le pouvoir de se connaître et de s'accepter ? Dans - portique-il y avait -porte- aussi, le signe d'un passage dont il ignorait le sens , mais qui gagnerait en substance avec sa construction. (p. 30)
Ecouter la radio, entendre la radio, la mêler au pain grillé qui saute dans le grille-pain quand on ne l'attend plus, à l'odeur mentholée du dentifrice, c'était une façon de se livrer au monde qui préservait l'intégrité, la solitude.
Mais ce jour-là il suspendit le geste de sa main avançant vers le poste, comme s'il y avait eu dans ce besoin des autres voix une solution de facilité, un aveu de faiblesse. (...)
C'était lui qui avait besoin de la radio, et soudain c'était trop. Lui qui prétendait ne jamais s'ennuyer, ne jamais se sentir seul, pourquoi éprouvait-il dès le matin ce besoin de ronron radiophonique ? Il y avait là déjà comme un vide à combler, une interrogation, une inquiétude . (p. 60-61Editions du Rocher, 1999)
Ainsi Sébastien continuait-il à habiter l'écorce d'une âme zen que tout pouvait troubler.
On garde tout. Les gens, les bêtes, les choses qu'ont aimait sont là dans notre corps, nous attachent au-delà des mots.
Camille et Sébastien avaient leurs moments privilégiés pour se parler des choses graves ; En voiture, souvent, le parallélisme et le sens de la route favorisaient les déclarations délicates, les projets esquissés.
Il lui restait du temps. Mais, depuis quelques mois, ce temps gratuit, naguère savouré, devenait un temps pour être mal et pour s'interroger. Un temps à ne trop savoir quoi en faire. Un temps pour redouter le temps. (p. 114 / Editions du Rocher, 1999)
Est-ce bien raisonnable de faire des enfants qui ne voudront jamais quitter l'enfance?
Ca peut venir n'importe quand. On se croit fort, serein dans sa tête et son corps, et puis voilà. Un vertige, un malaise sourd, et tout de suite on sent que ça ne passera pas comme ça. Tout devient difficile. Faire la queue chez le boulanger, attendre au guichet de la Poste, échanger quelques phrases debout sur le trottoir. Des moments creux, sans enjeu apparent, mais qui deviennent des montagnes. On se sent vaciller, on croit mourir et c'est idiot.
Très vite, on culpabilise, et ça n'arrange rien. Il y a les handicapés, les cancéreux, les sidéens, tous ceux qui viennent de perdre quelqu'un. De quel droit peut-on se sentir mal, être si mal? Et puis c'est beaucoup plus stupide encore, mais on se sent vexé. On ne meurt pas.
- Alors cette inspection ?
- Un désastre, mais je me suis bien défoulé ! J'ai même envie de prendre un petit apéro pour fêter ça !