Nous ne faisions pas de bruit sur la terre, et comme tout semblait nous obéir ! Nous partions loin, le long des quais, où des péniches amarrées pour toujours chantaient le voyage immobile, dans un infime clapotis ; au centre de la ville, sur le fleuve, des gens à notre image avaient du temps pour arrêter le temps, pour saisir la lumière au fil de l’eau. C’étaient des peintres, ou bien des architectes, des décorateurs, voyageurs endormis préservant l’idée de voyage. Nous n’avions pas assez d’argent, mais nous aurions aimé comme eux vivre à quai dans une péniche, un jour suivre le fleuve, et puis qui sait ? On n’imagine pas une péniche sur la mer. (p. 79)
Des rires, des parfums, des mots sans importance lancés seulement pour être bien.
Je me sentais si seul, moi qui n’avais pas de passé.
Mais maintenant le temps est fait pour l’arrêter, pour croquer un navet sur la page immobile.
Garder chacun ce qui nous faisait le coeur lourd, mais se prêter nos ailes.
Nous avons joué longtemps, les mains dans l'eau, les yeux dans le soleil.
Partout, côtoiement anonyme. Rencontrer l'autre, un autre, y faire tenir le monde, [...] boire l'instant, le plaisir immobile, et puis marcher longtemps le long des quais dans un Paris d'été.
L'Oise. Un mot ailé,légèrement acide.Quand ils s'en vont jouer par là, c'est avec le sentiment vague d'être en faute. Une odeur un peu âcre annonce le plaisir de l'eau, lié à des barques vert sombre, à un café de plein air abandonné l'hiver.Une sourde émotion leur fait battre le coeur. Ils montent dans les barques enchaînées qui tanguent dans le délicieux vertige d'un jeu à peine défendu.
Tout se perd et tout se confond, tout est léger, tout est fragile. On ne possède rien. Tout juste sans bouger quelques secondes de beauté, une patience ronde, sans désir. Un peu de bonheur sage passe ; on le retient entre le pouce et le majeur de ses deux mains. Il faut toucher à peine.
J'ai appris à toucher à peine, à effleurer. Je venais d'une immobilité complète, et ces gestes me convenaient.
Il venait du pays que je ne connaîtrai jamais ; de ce pays étrange que les humains traversent, et dont ils sortent amnésiques ou déchirés. Les amnésiques sont des adultes, et les déchirés quelquefois vont jusqu'au bout des mots le long d'un boulevard, pour s'approcher du haut pays d'enfance.