Citations sur Les chemins nous inventent (33)
Le cygne file, effleure la surface du miroir où s'abolissent les légendes. Une tempête ferait glisser tout cela vers le tragique. Mais le soleil est presque tiède, et c'est très bon de boire en couleurs d'aquarelle cette douceur trompeuse où dorment des secrets. (p.62)
La rumeur estompée de la grande route souligne en contrepoint le silence-vertige des petits jours. Plus d'odeurs, plus de jeux, plus de cris. Tout juste la douceur fourrée du gel pour transformer en cathédrale de beauté la saison morte. (p.50)
Le soleil ce matin ne naîtra pas dans l'opulence. Il n'y aura pas d'aurore, pas de flamboiement chaud dans le palais du froid, mais seulement une aube prolongée, s'évadant pas à pas de son carcan de glace. (p.49)
Les gueules monstrueuses, les écailles, les tritons, les vasques silencieuses parlent le même langage, poussent la même incantation pour une absence - et leur prière sourde fait surgir un monde féérique, et la pierre de l'eau absente révèle une volonté qu'eût abolie l'eau jaillissante. Ces ombres blanches et grises rêvent de transparences, d'irisations, de perles embuées flottant dans l'air. Mais c'est le vert qui vient les apaiser, leur faire un rêve d'ombre parfumé. Odeur un peu fade du buis, odeur légère des tilleuls centenaires, poussières blonde s'écoulant dans le soleil à contre-branche : la pierre et le feuillage, l'ombre et la lumière, les buissons taillés, les arbres libres déferlant - il y a bien là tout un Grand Siècle et toute une Italie. (p.46)
Marcher longtemps dans les tons froids. Sur le lac Brionne, l'eau vient mouiller l'hiver, la brume se fait bleue. (p.41)
Sur tout un pan de mur, le lierre mort embrasse la pierre d'une noueuse emprise végétale argentée, un ruissellement de vie pétrifiée, évanouie. (p.40)
Le sous-bois ne répond pas. Le sol jonché de tâches claires, blanches et mauves, anémones, sylvie, pervenches semble accordé par sa fraîcheur à la rumeur mouillée des oiseaux dans les branches presque bleue des pins et des cyprès. Là-bas, sous l'arche végétale, au-delà d'une flaque éblouissante de soleil blond, le château flou nuance de douceur printanière l'accord de ses trois notes : brique, pierre, ardoise. Il faut s'inventer ce retrait, ce recul, pour dessiner en perspective un désir de château. Je quitte la fontaine bruissante du sous-bois. (p.36-37)
Inventer la surprise de se retrouver, c'est bien plus que se perdre ! En quelques minutes, je viens de nouer dans l'espace et le temps des fils invisibles, et de changer la trame de tant d'heures passées. Les chemins nous inventent.
Il faut laisser vivre les pas. (p.22)
A travers une grille, ou par-dessus les arbres et les toits, la tour Saint-Nicolas se fait moins hiératique, et semble proche et tutélaire. Elle s'amuse à chapeauter l'horizon découvert sur toutes les maisons. Elle y prend du plaisir, et comme une douceur fraternelle. (p.16)
Mais le soleil oblique et pourtant déjà mûr connaît aussi son rôle. Dans les haies vives, leurs talents conjugués déferlent en glorieux désordres : feuilles vernissées des lierres et des houx, baies rouges d'églantier allumées de reflets, feuilles jaunies de branches entrecroisées : le ciel bleu s'efface dans cette profusion de couleurs chaudes, dans ce fouillis royal. (p.14)