DEVANT UN PORTRAIT DE CHARLES PERROT
Ainsi donc, vous voici comme au bel été grave
Où l'on ne parlait pas de guerre, où nous avions
Sur des faces d'enfants le sourire qu'y grave
Un univers fait de grands vers et de rayons.
A présent, un mur noir pour un temps nous sépare ;
Nous nous retrouverons, je crois, plus tard, ailleurs ;
Et nos terrestres jours, dont le sort fut avare,
Au jour illimité nous paraîtront meilleurs.
Nul mieux que moi n'aura compris votre âme grise
Qu'un besoin de soleil éclairait en dessous ;
Elle faisait songer au porche d'une église
Ayant, pour mendiants divins, des Faunes roux.
Car vous possédiez tout, l'ardeur et la prière,
Et l'orgueil d'être sage et celui d'être fort,
Car vous étiez de ceux qui vont, la vie entière
Le gosier plein d'un goût de laurier et de mort.
Je ne suis pas très sûr que mourir vous fut triste.
Quand la nuit vous manda son invitation,
Vous saviez que, plus haut, notre être vrai persiste
Et qu'il vaut mieux, parfois, quitter Tyr pour Sion.
Oui, pendant un instant vous avez su, peut-être.
Regretter le rosier qu'on plante en sol français.
L'amante à son balcon, l'épouse à la fenêtre,
La vie, et sa saveur de bon pain, de vin frais ;
Mais c'est fini ; votre âme est de tout libérée ;
Le ciel s'est entr'ouvert pour vous faire l'accueil
Que méritent les morts enfouis à l'orée
D'un bois tragique, sans linceul et sans cercueil ;
Les plus beaux de vos jours vous semblent des pirates
Qui vous avaient frustré d' un songe immense et pur ;
Vous possédez le trône auquel vous aspirâtes :
Vous êtes une flamme assise en plein azur.
Vous auriez dû partir très tard, riche de rêve,
Dormir en Orient, entre quatre cyprès,..
Dieu vous a ménagé cette vie ample et brève ;
Mais je crois que la mort ne l'a pas fait exprès
Et qu'elle va longtemps se repentir, l'obtuse
Camarde, la faucheuse imbécile, d'avoir
Supprimé pour la France ainsi que pour la Muse
Le poète-héros qui sut crier un soir :
« On n'a jamais fini de faire son devoir. »
Perséphone
Pourquoi, ce soir, à peine au milieu de ma route,
Pourquoi donc ai-je vu, dans le miroir obscur
Qu'est à lui-même un cœur dédoublé par le doute.
Ce cœur riche et gonflé pencher comme un fruit mûr ?
Pourtant, à mon bonheur tout m'ordonne de croire.
Et le jour qui finit fut un jour de victoire,
Et j'attendais le soir comme un compagnon sûr.
De nouveau, j'ai vécu comme il sied que l'on vive ;
Je me suis obéi sans crainte et sans remords,
Fidèle à mon orgueil, sachant, quoi qu'il arrive.
Que les vœux les plus fous méritent nos efforts ;
Et je puis, de nouveau, savourer le délice
De n'avoir pas subi d'instant qui n'embellisse
D'un merveilleux butin mon esprit ou mon corps.
Je me sens ennobli de toutes mes journées.
Et, comme ces vainqueurs qui vont contempler, sourds
Aux lamentations des villes ruinées,
Leur ouvrage, du haut des plus hautaines tours.
Tel, pour dormir mes nuits, il faut que je m'érige
Éperdu, frémissant d'un généreux vertige,
Au-dessus de la cendre invisible des jours.
Nul ne peut me blâmer, sinon des êtres lâches
Que leur lâcheté même atterre à ma merci :
Le chêne, en sa verdeur, fait fi du fil des haches
Qui guette justement le bois vieux ou moisi ;
Le chêne, indifférent dans sa grâce et sa force
Aux frelons venimeux nichés sous son écorce
Chante et de leur chanson fait sa chanson aussi.
En mon cœur la fierté fut chez elle à toute heure
Et si, parfois, ce cœur fut meurtri, fut broyé,
C'est que l'aigle au grand vol préfère pour demeure
Un roc voisin du ciel et souvent foudroyé ;
Je crois peut-être en Dieu, mais ne crains rien des hommes.
Je porte mes beaux jours comme un pommier ses pommes.
J'ignore la rancune autant que la pitié.
J'ai parfois recherché l'inimitié : je l'aime
Presque autant que l'amour de ceux que je chéris;
Mais, ne déméritant d'aucun ni de moi-même,
Je n'ai pas acheté de triomphe à vil prix ;
Nul parmi mes combats ne fut livré sans peine :
Ceux que je détestais n'ignoraient pas ma haine ;
Ceux que je méprisais savaient bien mon mépris.
J'ai plus de volupté que n'en rêvent les femmes
Quand le printemps s'appuie à leurs seins anxieux ;
J'ai le dédain qui flatte ou qui dompte leurs âmes
Et le désir qui met du soleil dans leurs yeux.
Chaque jour mon destin semble atteindre son faîte,
Et mes plus beaux espoirs d'enfant déjà poète
Sont comblés, comme si j'avais mérité mieux.