Max fut soudain pris de pitié pour cet époux défunt qui avait eu à supporter cette femme. Peut-être l'avait-elle tué à force de patati, à coups de patata, éventré gentiment avec le couteau à beurre de la conversation assommante.
- Alors, je la fais avec les cheveux bruns ? demanda Virginie.
Max était indécis. Les cinq photos qu'il avait sélectionnées appartenaient à des époques différentes. Elles jalonnaient une quarantaine d'années. Ce qu'il aurait voulu, c'était une synthèse. Le portrait, pensait-il, pourrait accompagner ce miracle : rendre à Telma son intégrité, définir ce qui, dans son visage, abolissait le temps.
- Plus le temps passe, plus on fait de choix, plus notre espace se rétrécit. Plus le temps passe, plus l'espace qui nous sépare de nos rêves s'agrandit.
[ Incipit ]
Max s'était longtemps appelé Mathusalem. C'était le nom que lui avait donné sa mère. Au début, les gens s'étaient moqués, lui disant qu'il était mignon mais un peu ridé. Elle riait avec eux et leur répondait : "Il nous enterrera tous !"
Elle fut la première à vérifier sa prédiction. Une semaine avant les trois ans de Mathusalem, elle mourut d’un empoisonnement du sang.
Dès qu’il fut en âge de choisir pour lui-même, ce fils rebelle s’empressa d’oublier l’encombrant prénom. En 1933, tout juste débarqué de Russie, il déclara à l’officier d’état civil français qu’il s’appelait Max et ajouta, moins par respect pour sa défunte mère que par crainte d’éveiller un courroux d’outre-tombe, que Mathusalem venait en second.