Marceline ou le mondes des autres

Ce roman se situe dans un monde apparemment figé dans un passé indéboulonnable. Sous le nom De Rougemont, on reconnaîtra Senlis. Belle petite ville historique, à quelques dizaines de km au nord de Paris, avec sa bourgeoisie autochtone qui fonctionnerait encore en entre-soi. Dans ses faubourgs, il y a aussi une population fixée par les quelques zones industrielles ou commerciales, qui vit dans des lotissements, avec ses HLM, ses familles plus ou moins déglinguées, sa jeunesse parfois délinquante, sur fond de chômage, d'allocations, de trafics divers. Quant aux saintes familles qui possèdent le centre-ville, ses hôtels particuliers, ses commerces, ses petites industries, elles maintiennent les apparences. Ainsi en est-il du premier héros de ce roman. Il a hérité d'une société de distribution de matériaux de construction et il a su comprendre à temps que le monde des indépendants en ce domaine était terminé : il a vendu à Bolloré… Il s'est reconverti dans une entreprise distributrice d'alarmes anti-vol hautement lucrative. Il a épousé une Parisienne de bonne société, qui reste femme au foyer. Il a deux garçons, grands adolescents qui font sa fierté. Tout va bien. Sauf que sa femme s'ennuie et boit trop, de plus en plus…
Chez les pauvres, la vie est beaucoup plus compliquée et la jeune Marceline, deuxièmes personnages importants du roman, en révolte contre son milieu social, s'est mis en tête de passer de l'autre côté du mur. Gageure qui semble impossible, même s'il y a un point de jonction entre ces deux sociétés car on est dans le micro-monde des catholiques pratiquants. Les riches occupent les premiers rangs à la cathédrale. Les pauvres sont quelques bancs plus loin. Sous le regard bienveillant du recteur qui, seul peut-être, a des liens profonds avec des familles des deux côtés…
On vous a parlé de roman catholique, non pas que la religion y soit omniprésente, loin de là. Nous avons ici une bonne histoire de secret de famille, à la Mauriac ou même à la Guy des Car si on veut, et une histoire de vengeance, pourquoi pas à la Félicien Marceau… le sexe et les addictions y tiennent leur rôle. On est au XXIe siècle. Mais Marc Desaubliaux a choisi pour héros masculin un homme dont on ne saura pas, jusqu'à la fin, s'il est « un homme sans volonté », comme le héros d'un de ses précédents romans, ou bien s'il a découvert une voie qui fait de lui une grande âme. C'est une des ambiguïtés qui tiendra le lecteur en haleine et en proximité, outre le dévoilement progressif de douloureux secrets dont toutes les familles ont les équivalents même si bien peu veulent le savoir ou l'assumer. Suffisamment hors du temps pour nous faire rêver, et totalement de notre temps pour que nous puissions nous y identifier, voilà une histoire toute en finesse malgré les retournements préparés de longue main. Il aurait été très facile de la gâcher par quelques effets trop romanesques ou violents, mais l'auteur reste fidèle à sa petite musique tout du long. Les personnages vous tiendront longtemps au coeur et à la mémoire et, accessoirement, certaines réflexions ou comportements des uns et des autres pourraient bien vous remettre en marche spirituellement.

Marceline est une bonne élève, malgré tout, ses parents décident de lui faire arrêter sa scolarité pour aller travailler. Leur famille est issue du côté pauvre De Rougemont, leurs payes ne suffisent pas à payer les frais mensuels de leur famille. Depuis quelques années, la jeune fille rêve d'intégrer le grand monde, c'est l'occasion pour elle de tenter sa chance. de son côté, France, est issue du côté riche mais malgré tout elle est malheureuse, sa place n'est pas là. Petit à petit, elle sombre. Son mari, Jean Patrick à la tête d'une entreprise florissante, fait son possible pour garder une vie de famille stable. Un jour poussé par la curiosité, il décide d'ouvrir une malle qu'il a récupéré au décès de ses parents, son oncle voulait absolument la récupérer. le neveu se doutant qu'un secret se cache à l'intérieur, se résout à lire toutes les lettres enfermées dedans.
Quel secret va-t-il découvrir ? Sa femme va-t-elle enfin s'en sortir ? Marceline va-t-elle réussir à entrer dans le grand monde ?

La couverture représente Marceline au dessus du village côté riche, un rêve pour elle. Un secret de famille honteux, bien gardé mais qui a fini par être étalé au grand jour. Il va remettre en question beaucoup de choses et surtout mettre à mal la réputation de plusieurs grandes familles De Rougemont. On dit souvent que le passé doit rester où il est, dans cette histoire on en a la preuve, il peut tout détruire autour de lui. L'argent ne fait pas le bonheur, France en est le témoin. On pense tous que si nous étions riche nous n'aurions plus aucun problème, ils ne seraient pas les mêmes mais il y en aurait quand même malheureusement. Au départ, j'ai beaucoup aimé Marceline qui se débattait pour sortir de la misère, son courage à affronter ses parents et à commencer une nouvelle vie. Puis elle a pris de l'assurance et est devenue désagréable, antipathique et manipulatrice. Jean-Patrick est un personnage attachant, malgré les problèmes de sa femme qui plonge sa famille dans la tristesse, il la soutient. Il n'hésite pas à défendre les personnes qui ont attaqué sa famille sans s'inquiéter des conséquences. Nous passons du présent au passé facilement, ce qui nous permet de découvrir en même temps que Jean-Patrick le secret de sa famille et la vie de son père pendant la guerre. Une lecture agréable. Pour bien marquer la différence de classe sociale, l'auteur dote ses personnages d'un language très différent.

Ce roman contemporain nous livre l'histoire de plusieurs familles issues du même village mais de catégories sociaux professionnelles diamétralement opposées. Deux mondes, deux cultures, deux extrêmes que tout oppose et pourtant…
Les personnages sont travaillés psychologiquement et les aller retour dans le passé et le présent donne une dimension intéressante et passionnante à ce livre.
Ce roman est extrêmement prenant et malgré son nombre conséquent de pages j'ai difficilement pu faire une pause, gage que je l'ai apprécié.
Marc Desaubliaux sait donner un rythme captivant à son histoire. Sa plume est précise, vive et pleine de rebondissements grâce notamment aux secrets de famille.
Un auteur qui sait où il veut mener son lecteur sans nul doute, qui n'hésite pas à basculer dans la caricature de certains de ses personnages.
Des thèmes comme les secrets de famille, la seconde guerre mondiale, l'alcoolisme, les castes… sont au coeur de ce roman. Seule critique : Marcelline qui arrête l'école si jeune et qui trouve un emploi de secrétaire alors qu'elle est mineure, de nos jours ce n'est pas très réaliste. Ce point m'a un peu chagriné tant l'integralité de l'histoire reste très réaliste et ancrée dans nos sociétés actuelles à mon sens.
Un très bon livre tout de même que je conseille.