Citations sur Les livres prennent soin de nous: Pour une bibliothérap.. (189)
Pour beaucoup d'auteurs, l'écriture est une thérapie avouée et assumée. Stratonice dans Polyeucte énonçait déjà la vertu première du récit : "A raconter ses maux souvent on les soulage." C'est le cas de Serge Doubrovsky, qui composa son roman Fils en cours d'analyse et inventa au passage l'autofiction, fiction d'événements et de faits strictement réels.
Sans les personnages, disait Virginia Woolf, la vie est sèche comme un os.
Alors, écrire, lire, est-ce vraiment thérapeutique ?
Oui, pour Henry Bauchau, mené à près de cent ans par son désir d'écrire : si la vieillesse est un naufrage, la page est un radeau.
Quant à Marguerite Duras, elle a toujours été claire sur ce point : "Ecrire toute sa vie, ça ne sauve de rien, ça apprend à écrire, c'est tout."
Aristote enseignait dans sa Poétique que la tragédie nous confronte à la passion (par la mimèsis) pour nous en délivrer (par la catharsis), qu'elle convoque le pathos (sur la scène) mais pour le congédier aussitôt (de nos vies). La jouissance esthétique constitue cette décharge apaisante qui libère l'homme de la violence du réel et le reconduit vers le confort consolateur du monde.
On peut imaginer ce que la censure du pathos ferait disparaître de grands livres : Hugo, Faulkner, Dostoïevski...
La lecture permet aussi l'acquisition de défenses psychologiques contre les événements du jour : ainsi agit l'histoire de chaque soir, qui répare le psychisme des enfants et les prépare aux inévitables anicroches du lendemain.
La liseuse, l'écran ne peuvent pas de la même manière faire entrer nous le texte, au plus profond du corps. Quand j'écris ou lis à l'écran, je n'ai plus besoin de toucher pour sentir, j'effleure seulement.Mon écrit est de la graine de traces. Il est eau. L'écriture aujourd'hui, moderne poétique de la peau, n'écorche plus le papier. Fi des parois scarifiées. Elle se tient loin du manuscrit, du parchemin, de cette peau de veau mort-né, encore sanguinolente, dont le vélin tira sa palpitante origine. Elle n'est plus une écriture de chair, qui tatoue le texte sur la peau des livres - et c'est pourquoi elle se mémorise si mal. Elle dit qu'il n'est plus nécessaire de faire saigner la peau pour que l'écriture suinte vive, elle procède virtuellement, elle s'inscrit à l'écran liquide.
La lecture à l'écran est aujourd'hui un bain tiède. A quel prix pour le corps ?
Par la magie de l'interprétation, l'ouvrage poétique dénoue les noeuds du langage, puis les noeuds de l'âme, qui s'opposaient à la vie et à la force créatrice. La bibliotherapie ainsi comprise doit permettre à chacun de sortir de l'enfermement ,de la lassitude, pour se réinventer, vivre et renaître à chaque instant dans la dynamique d'un langage en mouvement.