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Critique de michelekastner


L'auteur débute son périple à Bangkok. Taksin Shinawaka, ex-premier ministre corrompu de la Thaïlande a fui le pays. A Phnom Penh doit débuter le premier procès de Douch, le tortionnaire du tristement célèbre camp S21 où ont été torturées et assassinées 12 000 personnes. Né en 1942, d'origine modeste, Douch réussit de brillantes études pour devenir professeur de mathématiques, son directeur est Son Sen, futur ministre de la défense du Kampuchéa démocratique. Ils rejoindront tous deux le maquis. Amateur de poésie, Douch récite les vers du poème d'Alfred de Vigny « La Mort du Loup » à la première audience du procès :
« Gémir, pleurer, prier est également lâche
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voix où le sort a voulu t'appeler
Puis, après, comme moi, souffre, et meurs sans parler. »

Il a été un fidèle serviteur de l'Angkar, consciencieux, rigoureux, jusqu'à la folie, à l'absurdité aveugle.
Chaque événement de l'histoire en rappelle un autre qui a sa part dans l'avènement au pouvoir d'une poignée d'idéalistes qui ont fait leurs études à Paris, ont lu Malraux (la Voie royale), Rimbaud (Une saison en enfer), Farrère (Les Civilisés), ont rêvé de Révolution à Saint-Germain avant de se perdre dans la forêt cambodgienne. On redécouvre ces morceaux d'histoire entremêlés qui ont contribué à alimenter la guérilla, la haine de l'Occident, les désirs de pureté dans un pays corrompu par la monarchie sous Norodom Sihanouk qui rêve d'une Pnom Penh princière et réprime sévèrement les opposants Khmers rouges, par le régime militaire anti-communiste de Lon Nol, sans oublier les Américains qui ont sacrifié les populations sous les énormes bombardements envoyés sur la piste Hô Chi Minh, la longue colonisation de la France dont les intérêts étaient multiples (opium, riz, , sel, hévéa..), les territoires amputés par le royaume de Siam (Angkor), puis par les Vietnamiens (le delta du Mékong), les conflits de la guerre froide qui amèneront leur lot de soutiens ou de défections.
Mais, sans doute faut-il revenir un siècle et demi en arrière à la rencontre d'un personnage injustement oublié : Henri Mouhot, lépidoptériste, entomologiste, botaniste qui, de Londres, embarque pour l'Asie, y parcourt à pied de vastes territoires à la poursuite de papillons rares et découvre avec stupéfaction et fascination les temples d'Angkor enfouis sous la végétation luxuriante, réalise des dessins minutieux et prend des notes précises qui seront publiées à Paris et nourriront des rêves de conquête française, car la France est alors en concurrence avec l'Allemagne et l'Angleterre dans l'expansion culturelle et géographique. On croise Graham Greene, Pierre Loti, Joseph Conrad, écrivains fascinés par l'Asie et qui ont enrichi nos rêves occidentaux d'un Orient magique.
Pour Patrick Deville, c'est l'année zéro. Dès lors, les années se comptent en après HM, sur la trace des explorateurs Garnier et Lagrée à la découverte de 3000 km le long du fleuve Mékong, d'Auguste Pavie qui trace la ligne télégraphique entre Phnom Penh et Bangkok et crée une école cambodgienne à Paris dans laquelle les sinistres frères numérotés viendront faire leurs études. L'auteur rencontre le père François Ponchaud, prêtre à Phnom Penh de 1965 à 1975, date de l'arrivée au pouvoir des Khmers rouges, il dénonce alors les exactions, n'est pris au sérieux ni par Paris, ni par Washington, ni par Amnesty International, ni par la Ligue des Droits de l'Homme. On croit encore à l'idéal communiste qui va déboucher sur la Terreur, la destruction de tous les papiers, les diplômes, les livres, la suppression des médecins, des cafés, des professeurs, des automobiles, des téléphones, de la vie privée et l'anéantissement de 2 Millions de Cambodgiens, sous la direction de Pol Pot (frère n°1), Nuon Chea (frère n°2), Ieng Sary(frère n°3)…
Oeuvre dense et érudite qui nécessite une bonne connaissance de l'histoire de la Cochinchine du Vietnam, du Cambodge, du Laos, de la colonisation, des trois guerres d'indochine…
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