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La tempête Amélie quitte peu à peu la région, les bourrasques de vent se succèdent encore , moins fortes , sans doute , mais toujours autoritaires , poussant très fort des averses violentes qui cinglent les carreaux derrière lesquels on guette impatiemment un coin de ciel bleu qui ne manquera pas de venir réchauffer les coeurs et permettre aux uns et aux autres , petits et grands , de sortir à nouveau profiter des dernières heures d'un automne moribond ....Moribond aussi le monde d'" Ecume "de Patrick K Dewdney , moribond et sans espoir , un monde arrivé au bout du bout de son existence , un monde de survie où la quête des hommes n'est plus tournée vers l'espoir d'une vie meilleure mais la sauvegarde , la simple sauvegarde d'un corps en perdition . le bateau , c'était " la princesse " , devenue " la Gueuse " après le décès de la mère , une " Gueuse " gisant sur le flanc en attendant la marée, une " Gueuse " sur laquelle le malheur rode , un malheur qui joue avec ses proies , lui , le Père, et lui , le Fils , qui ne se parlent pas , ne se regardent pas , ne se voient pas , effectuant le métier avec , pour le Fils , un dégoût de plus en plus vif pour le " tueur des mers " qu'il est , et surtout pour une autre activité plus que contestable mais hélas sans laquelle même survivre ne serait plus possible .....Les bateaux - usines....le business....la misère pour les faibles .
Contrairement à la tempête Amélie qui , après avoir dégueulé sa haine , cédera , on peut l'espérer, la place à des jours meilleurs , pas une once de pitié dans le roman de Patrick Dewdney . C'est noir au début, noir à la fin , noir au milieu , une impression d'apocalypse , de monde en décomposition, boueux , écumant, glauque , une pluie et des ténèbres perpétuelles , rien à espérer, rien à attendre . C'est désespérant et ...si bien écrit que chaque mot , chaque phrase pénètre en nous pour nous empêcher de reprendre notre souffle , de croire en l'indulgence d'une mystérieuse force bienveillante , d'espérer sortir de ce cauchemar ...L'auteur possède une force de frappe impressionnante avec son écriture si travaillée . La violence suinte , suinte , suinte , jusqu'à l'extrême de notre endurance , jusqu'au KO ..Chaos ? . C'est fin , subtil , imparable , irrésistible. Incontestablement , ce jeune auteur a du talent et de belles années d'écrivain à succès devant lui, on en reparlera ...
Le roman n'est pas long mais , gluant entre nos mains , pas si rapidement " avalé " qu'on pourrait le penser , un petit roman qui donne à réfléchir même si l'auteur se garde bien du moindre commentaire . Un bon choix de lecture pour " ce terrible trou noir de novembre " ? Pas sûr , sauf à avoir un moral à toute épreuve. Je viens de le terminer . Je guette l'arrivée d'un rayon de soleil , même pâle , même froid , même furtif mais ...rien .rien ...rien . Allez , je vais chercher quelque chose de léger dans ma PAL , j'en ai bien besoin ...En tout cas , amis de romans noirs " même en hiver " , ne laissez pas passer ce bouquin . Il m'a mis " groggy " c'est bien ce qu'on lui demandait , non ?
Allez , je vais lire le dernier Astérix, il sort au bon moment celui - là.
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Le jour ne pointe pas encore, un fin crachin humidifie l'air pourtant encore doux en cette fin d'automne. Le père et le fils quittent le cabanon. Sans un mot. Presque sans un regard l'un pour l'autre. Ils marchent en file indienne, le père devant, d'un pas pressé, le fils traînant sur ses talons. Il leur faut plus d'une heure pour rejoindre le mouillage. Au loin, le village commence peu à peu à s'éveiller. Aux abords de la dernière dune, les vagues ronflent. La marée montante, peu à peu, ballotte la Gueuse, reposant jusqu'ici sur son flanc. Avant que la marée ne monte, le père et le fils grimpent à bord. le père à l'abri de la timonerie, le fils à la proue. Pêcheurs malgré les maigres prises et les terribles efforts...

Quel singulier roman que nous offre à nouveau Patrick Dewdney... En pleine mer, nous suivons le père et le fils, dépourvus de prénoms, qui pourtant pêcheurs dans l'âme, en viendront à pratiquer une toute autre activité, celle de passeurs. L'auteur dépeint avec noirceur et profondeur un monde naviguant entre mer hostile et terre abandonnée ainsi que la relation mutique entre le père et le fils, et les tensions sous-jacentes. Un récit qui s'appréhende et s'apprivoise tant l'auteur s'attarde sur le déroulé des événements, les descriptions du paysage mais aussi du ressenti des personnages. Écume s'imprègne de la rugosité de la vie, exalte un parfum d'iode, de poissons morts et de sueur, regorge de haine, de rancoeur, de fureur et de désespoir. Un huis-clos au coeur des tempêtes. Un récit profondément noir, tendu, âpre et une écriture riche et imagée.
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Après "mauvaise graisse" je continue ma découverte de Patrick K Dewdney avec "écume" Je suis vraiment séduite par son écriture qui est bien particulière, belle, tranchante, dure et hypnotique. Les descriptions sont extrêmement bien travaillées, elles le sont à tel point que l'on ressent presque la gêne de la mer qui se déchaîne, que l'on sent l'odeur du poisson ou encore le vent marin qui apporte ce parfum si particulier et enfin que l'on ressent la tension qui règne sur ce bateau "la gueuse",
tension qui ne cesse de s'amplifier au cours des pages.
le fils et le père sont tous deux emprisonnés dans un silence pesant étouffant.
Afin de survivre, ils vont devenir passeurs.
Le huis-clos dans lequel nous embarque Patrick K Dewdney est noir, très noir et met en exergue les violences et l'absurdité de l'homme.
C'est un livre engagé qui aborde les thèmes des migrants mais aussi de la responsabilité de l'être humain quant à la disparition des ressources naturelles.
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La collection Territori prend le large au propre comme au figuré puisqu'après avoir arpenté quelques zones rurales reculées du pays, son directeur Cyril Herry nous propose Ecume, un nouveau texte de Patrick K. Dewdney dont l'intrigue se déroule dans un contexte maritime, plus précisément au large des côtes de l'océan Atlantique en partageant les affres de deux marins pêcheurs naviguant au bord de l'abîme. Côtoyant des auteurs comme Frank Bouysse, Séverine Chevalier, Antonin Varenne, Eric Maneval et Laurence Bieberfled, entre autres, on avait découvert Patrick K. Dewdney avec Crocs, un texte d'une éblouissante noirceur où le verbe forme une terrible alliance avec une intrigue propre aux romans noirs magnifiés par une prose racée pleine de colère et de révolte.

La Princesse est devenue Gueuse car le fier navire d'autrefois n'est plus qu'un vieux rafiot qui sillonne les flots en quête de pêches incertaines que l'océan épuisé ne livre plus qu'au compte-gouttes et au terme de terribles efforts. A son bord, le père et le fils s'échinent à la tâche et entre silence et colère, ces deux âmes essorées par les vicissitudes d'un monde qui s'écroule, nourrissent la démence de l'un et la rancoeur de l'autre au gré de campagnes de pêche toujours plus éprouvantes. Et si le poisson ne suffit plus à subvenir aux maigres besoins de cet équipage bancal, il restera toujours la possibilité de faire passer quelques réfugiés dont la contribution perçue permettra de remplir les cuves et de pallier un ordinaire misérable. Mais bien au delà de l'écume se désagrégeant dans les flots tourmentés, ce sont les certitudes des hommes qui disparaissent au large des côtes.

Ecume se situe sur la fracture d'un univers en déclin oscillant entre la révolte du désespoir et la résignation du point de non retour dont l'incarnation tragique prend forme avec la dualité de ce père et de ce fils entretenant leur animosité dans un mutisme hostile qui ne fait que raviver les tensions au large de ces côtes qui n'ont plus de nom. Dans ce monde désincarné, il ne reste plus que cette étendue d'eau impitoyable et la colère sourde de ces deux hommes dont l'auteur dissèque la personnalité à la lumière de leurs introspections respectives. Ainsi la lente agonie de l'océan s'assortit à l'amertume de la dissolution des rapports humains dont la conjonction s'achève sous la forme d'un inéluctable naufrage. Un mélange malsain qui s'incarne dans cette écume dont on suit le sillage implacable jusqu'au drame irrémédiable.

La précision du mot, l'élégance de la phrase sont au service d'une langue à la fois éclatante et imagée permettant au lecteur de s'immerger au coeur de cette ambiance chaotique où la fureur des tempêtes se conjugue à la difficulté d'un métier dont chacune des erreurs commises se paie au prix fort. La dureté de la tâche, l'odeur des embruns, l'atmosphère perdue de ces contrée maritimes, tout cela, Patrick K. Dewdney parvient à le restituer par l'entremise d'un texte dense aux entournures à la fois lyriques et poétiques dont le fragile équilibre révèle toute la maîtrise d'un auteur inspiré.

Implacable observateur d'un monde qui s'étiole, Patrick K. Dewdney construit une intrigue solide dont la dramatique logique met en exergue les désastres écologiques d'un océan mourant sur lequel marins désespérés et migrants désemparés se côtoient au rythme des marées immuables. Emulsion de fureur et d'abattement, Ecume est un terrible roman noir où l'espoir se niche pourtant sur un frêle esquif ballotté au gré du vent et des courants. Tumultueux et éclatant.


Patrick K. Dewdney : Ecume. La Manufacture de livres/collection Territori 2017.

A lire en écoutant : La Mémoire Et La Mer de Léo Ferré. Album : Amour Anarchie. Barclay Records 1970.
Lien : http://monromannoiretbienser..
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" le bateau file maintenant face au vent. La bruine a cessé. Au-delà du sillon scintillant que la gueuse trace sur son passage, l'aube dévore ce qu'il reste des côtes, un lambeau sombre, inondé de lumière. Lorsque la mer se cabre, il arrive au fils d'y plonger les yeux par mégarde. Sa rétine abrite déjà des essaims de taches noires, et pourtant, il juge l'obscure grouillante préférable à la contemplation de la timonerie. de ce qui frémit en dessous, en attendant son heure. "

La Manche acceuille chaque jour le Pére et le Fils, marins pêcheurs. Une tension extrême possède ces deux êtres du même sang. le Père, l'ancien, accroché au vieux monde. le Fils, plus jeune et déjà désabusé du futur qu'il perçoit. Deux regards durs et cruels sur la mer qui les entoure.

" Quel pouvoir terrible que le pouvoir du couteau, pense soudain le fils. C'est une chose dont il n'a jamais voulu. Une chose abominable d'absurdité qui prend racine dans la folie du père, mais aussi dans le gâchis terrifiant de l'espèce, à laquelle il a songé tantôt. À laquelle il songe à chaque instant, en vérité, alors que, par contrainte et lacheté, ses mains s'emploient -en compagnie de tant d'autres- à la mise à mort d'un monde. La démence et le dépouillement avide des mers. Cela s'amalgame en lui. Les rugissements du père et les marées noires. Les filets flottants. le plastique."



La Mer, berceau de la vie, trop dépouillée, trop polluée, trop maltraitée par ceux-là même qui devraient la protéger donne des signes de fatigue et se rebelle à sa façon. Pénurie des espèces, tempête déchainée.

" Il n'y a pas de paix ici, seulement l'illusion de la paix. Et encore. Il faudrait ne pas avoir saisi la force de ce qui dort pour ne pas le craindre à chaque instant. "



Pour survivre, les pêcheurs deviennent passeurs. Un nouveau fléau dont la mer est témoin. le fils suit le père, il n'a pas son mot à dire. Il doit respecter l'ancien même s'il ne l'approuve pas. Une certaine compassion le gagne pour ces migrants.



" Leurs horizons sont différents mais la trajectoire de l'âme est identique. Il s'agit de laisser derrière soi la misère familière et le parfum de la poudre. Il s'agit de ne pas avoir fait autant pour rien, de ne pas finir dans la boue, en gibier à gendarme, sous les bâches de Calais. "

Ecume, un roman noir engagé admirable, grâce à un auteur qui n'hésite pas à s'insurger par sa plume contre ces différents fléaux qui polluent le bien-être du monde.

Patrick K . Dweney nous offre un huis-clos à bord de la Gueuse d'une force aussi déchainée qu'un jour de tempête. Un écriture au scalpel, précise, tranchante, cruelle, écorchée, à fleur de peau. Un récit court mais aussi dense que l'immensité de la Manche, aussi intense qu'un ouragan. Page après page, la tension se renforce, on sent le drame approché, tel des nuages noirs prêts à exploser, en attente dans le ciel .

Un divin nectar de noirceur.

Une prose pleine de poésie que je n'ai pu m'empêcher de vous faire découvrir dans ces extraits.

" Autour, le vent a forci, a libéré le ciel scintillant des nuages qui l'obstruaient tantôt. le souffle s'évertue à polir désormais, à faire reluire la lune dans son bassin étoilé. "



Un récit magnifique, qui révèle le chaos humains, lève le voile sur la noirceur du monde. Les relations père/fils, les vies chaotiques, des hommes torturés autant vivants que survivants, la pollution, les migrants, la misère affective, la difficultés de vivre quand tous les éléments se déchainent, autant de thémes abordés par l'auteur qui donne une profondeur supplémentaire à son roman. Un récit sombre, vertigineux, captivant, envoûtant, d'une lucidité féroce sur cette mer moribonde.

" L'ecume appelle le père, et rien ne pourra l'en détourner. L'ecume appelle le père, et c'est ainsi. le sommeil attendra. "

Une plume que j'avais découverte avec "Crocs" sont précédent roman édité également à la Manufacture de Livres. Un roman noir remarquable, un style sauvage, enragé, cruel, accrocheur, " On ne creuse pas le passé sans y trouver des échardes et de la souffrance" ( Extrait de Crocs)



Une plume que j'ai eu plaisir à retrouver, un auteur brillant, que je ne peux que vous encourager à découvrir tellement c'est beau, tellement c'est fort, tellement j'ai adoré.

La mer comme vous ne l'avez jamais lu.

j'espère sincèrement que vous lui accorderez toute l'attention qu'il mérite.

Lisez Ecume, lisez Crocs, vous verrez c'est magnifique.


Patrick K. Dewdney

Patrick K. Dewdney est né en Angleterre en 1984, et réside en France depuis 21 ans. Après un cursus scolaire dans la filière des lettres, il publie son premier roman, Neva, en 2007. Après la sortie de cet ouvrage, il renonce à poursuivre son master pour se consacrer exclusivement à l'écriture. Perséphone Lunaire, son premier recueil de poésie, est publié en 2010. Il a publié Crocs à La Manufacture des Livres Collection Territori en 2015. Ecume est son second roman noir qui rejoint la collection Territori. Une bien belle collection, de magifiques bijoux dans de merveilleux écrins. Patrick K. Dewdney habite actuellement dans la campagne limousine, où il expérimente l'auto-suffisance et la réflexion sociale en parallèle avec son écriture. Il travaille à une saga de fantasy au Diable Vauvert.

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Quelque part sur la côte nord de la Bretagne. Marins tous deux, le père et son fils sont soudés par une même destinée à bord de la Gueuse, ce bateau qui s'appelait auparavant la Princesse. Car avant la Gueuse, la mère était en vie et même si l'existence était rude, des mots pouvaient circuler entre eux. Avec l'avènement de la Gueuse, la folie du père a pris une forme bien plus tangible et il entraîne son fils de plus en plus loin au coeur des tempêtes où il envoie à la face de la mer démontée des hurlements nés des tréfonds de son âme. Père et fils pêchent le jour et la nuit s'adonnent à une autre activité : ils font passer des migrants vers les côtes anglaises. Lors d'une de ces traversées, un événement fortuit va faire dérailler la mécanique bien rôdée. Et c'est le début d'une implacable spirale qui conduit père et fils en enfer…

« Ecume » est un splendide roman noir écrit par Patrick K. Dewdney. C'est un roman sombre qui explore l'envers de la souffrance humaine, son incapacité à verbaliser les peurs, les désirs, à lui donner forme et contours dans des mots, ce qui ouvre le champ à la violence.

L'intrigue est bâtie en 3 parties aux titres suggestifs : dérive, écueil et naufrage. L'auteur s'est solidement documenté sur l'univers maritime, celui de la navigation, de la pêche hauturière et les termes employés dans les premiers chapitres peuvent paraître techniques, voire abscons pour le béotien. Pour autant, ce procédé stylistique permet de camper un univers bien particulier, reclus sur lui-même, et les protagonistes qui l'habitent. Et l'auteur décrit à merveille le poids des silences qui tissent une toile dense entre père et fils, rendant la relation impossible, électrique même.

De ces mots, de son écriture soignée à l'extrême, naît une atmosphère lourde, poisseuse, dangereuse. Car le danger ne vient pas que de la mer démontée, des abysses qu'elle promet en creux de ses tempêtes. Elle vient aussi, en écho à cette nature hostile, des hommes qui en pillent les ressources, des hommes qui exploitent la détresse de leurs pairs, des hommes qui s'affrontent en dépit ou à cause des liens qui les unissent. L'écriture de Patrick K. Dewdney magnifie l'univers de la mer, la décrit jusque dans ses tourments intimes, peignant le contraste du clair et du sombre, l'union du ciel et de la mer, les déferlantes suivies des calmes troubles, nimbés de brumes.

« Ecume » est un roman sombre qui distille ses parts de lumière et n'oublie pas au coeur des souffrances, l'inamovible instinct de vivre, survivre, l'espérance chevillée au corps.
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D'abord, il y a eu « Crocs ». Tu te rappelles ? Les trois clous plantés sur une croix… Je t'en reparle pas. Pas la peine, t'as qu'à le lire si tu l'as raté.

« Écume », c'est le second roman de Patrick K. Dewdney chez Territori.

Ce roman-là t'emmène sur les flots, dans un petit bateau, et celui-ci, il a pas d'ailes pour voler. le petit bateau s'appelle « la gueuse », et lui aussi, après avoir fait le tour du monde, il revient chez lui. Tu liras pourquoi. Une gueuse, parfois, c'est une princesse déguisée.

T'en connais aussi, toi, des pères et des fils qui se parlent pas trop ? T'en connais ?

Alors ça va te rappeler quelque chose.

Un père, et un fils.

Il y a des écriveurs qui ont besoin de te présenter des personnages en pagaille, au point que parfois tu t'y perds un peu. Non, je déconne. Tu te perds pas parce que tu prends des notes. Dans « Écume », tu prendras pas de note. Pas besoin.

Comment parler du vide entre les humains dans un roman noir ? Comment, par la grâce d'une petite fille dont tu ne parles pas la langue, l'espoir peut-il d'un seul coup se mettre à exister ? Toi, tu sais pas, mais Patrick, lui, il sait. Il fait partie de ces écrivains qui te balancent leurs tripes sur le clavier et qui t'empêchent de respirer. Alors tu tournes les pages, et tu te dis que tu vas lire tout doucement, pour pas gaspiller. Pour profiter de chacun des mots qu'il t'offre. Parce que dans ce roman, chacune des phrases est un cadeau. Et pas un cadeau à la con, une étoile, qu'il a décroché pour toi. Tu sais ces étoiles qui guidaient les voyageurs, avant, au coeur de la nuit.

Un père, et un fils.

Comment se retrouver enfermé quand tu navigues sur les flots ? Comment faire exister l'une à côté de l'autre, deux solitudes, sans même qu'elles se touchent ? Simplement faire exister les mots à travers le silence, c'est sans doute le secret de ce roman hors-normes. Te faire sentir l'odeur du poisson mort et pourrissant dans la cale, te faire toucher du doigt cette vie de misère des marin-pêcheurs qui naviguent sur les flots, ohé ohé jusqu'à perdre la peau qu'ils ont sur les mains, jusqu'à ne plus entendre que le bruit de la vague, celle qui peut faire de ton bateau une simple coquille de noix.

Te faire pleurer les larmes de ces hommes, du fond de leur vie de misère, la seule qu'ils connaîtront jamais. Entendre leur plainte.

Un père, et un fils.
La suite, juste ici :
Lien : http://leslivresdelie.org/ec..
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Dans la dédicace que l'auteur m'a griffonnée avec application, de cette écriture métissée de minuscules et de majuscules, tout est dit : Ecume est une histoire d'eau, Ecume est surtout une histoire de fureur, qui dit la mise à mort d'un monde. »

L'histoire : La Gueuse est un vieux navire de pêche rebaptisé par un drame. Dessus, un père et son fils labourent l'océan pour en tirer leur subsistance. Avec l'horizon d'un côté, les réfugiés à passer en douce, la démence qui erre et la folie des hommes. Sur les flots dézingués, leur destin, maudit par le passé, s'apprête à basculer.

Au début, j'ai été décontenancé. Parce que j'étais encore bien installé dans les godasses âpres et magnifiques de Crocs, le précédent roman que j'avais lu de Patrick Dewdney. J'ai été perturbé parce que ce récit prend le contre-pied du précédent. Dans Ecume, on a l'impression d'évoluer en permanence sous un ciel sombre, qu'il pleut sans cesse, que le monde essore ses paupières de larmes et que la fin est proche. La narration lancinante corrode nos nerfs, mange notre moral comme si la lumière baissait au fur et à mesure de la lecture. le père et le fils, les deux personnages, presque les seuls, évoluent sur l'océan indifférent comme deux puces sur le dos d'un chien. Ils traînent chacun leurs turpitudes, leurs tourments, des tonnes de regrets et des peines pour un continent tout entier. Sans parler de la cargaison de folie du père.

Au contraire de l'excellent Crocs, Ecume est une lente agonie sublimée par des mots tantôt tranchants, tantôt effleurant. À l'opposé de Crocs, Ecume ne s'agite pas dans la frénésie de la fuite, dans le sillage de laquelle se dépose la haine, la colère, la radicalité. Dans Ecume, on sillonne, on tourne et on vire, le narrateur tient la barre avec fermeté et poésie, et les mots qu'il remonte dans ses filets sont autant de poissons rares qui zèbrent la nuit de leur éclat éphémère. Dans Crocs le personnage nous contait sa vie, ses pensées et son parcours, avec une grande urgence. Dans Ecume le narrateur tient les deux personnages dans sa paume humide et salée, et il nous les montre de son doigt gracile, il prend tout son temps et puis il nous signale les étoiles toujours en veille, toujours prêtes à nous rappeler notre insignifiance.
Cette histoire est capable de vous emmener par le fond, par ses colliers de mots magnifiques, par ses incantations sublimes, ces fugacités qui entretiennent le feu de la littérature. Cette histoire sinue entre le ciel infini et l'océan mystérieux, entre les hauteurs célestes et les abysses terrifiants, nous sandwichant entre les sentiments rêches et des espoirs décousus, où le sel attaque les vieilles blessures et ravive les cicatrices sans cesse rouvertes par la terrible volonté du regret amer, des journées interminables et semblables, où les gestes répétitifs sèment la mort dans un flot de sang noir.
Ecume vous mettra des bijoux dans les yeux et du charbon dans le coeur, parce que c'est beau et parce que c'est d'une noirceur insoutenable, parce que ce père et ce fils nous émeuvent, nous terrifient.
Ce roman est une épreuve de force, celle des éléments insoumis, des êtres blessés à mort, des silences plus vastes que les mers. C'est l'agonie d'une nature qui se bat, malgré tout, en dépit de la débilité atavique des humains, c'est deux mondes qui se télescopent et se fracassent dans un feu d'artifice lyrique dont les feux brillent encore, bien après avoir tourné l'ultime page.
Avec Ecume j'ai trouvé ce que je cherche quand j'ouvre un livre : une langue sans pareille, un voyage, des émotions au travers de personnages façonnés, la critique vigoureuse de quelque chose qui rend le mal visible. C'est déjà beaucoup non ?

J'aurais pu citer une vingtaine d'extraits, je vous laisse avec celui-ci.
« La tempête en déflagrations mouillées, gronde et harangue l'océan de vagues grises. Cherche à peler les côtes jusqu'à leurs ossements de schiste. En-dessous du sable grignoté, les montagnes anciennes se terrent et planquent leurs pics rongés. Trois chaines de roche enfouie, tassées les unes sur les autres, et toutes ont déjà connu l'usure terrible du monde. »

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Le père, la mer, le fils.

Le père, obsédé par la mer. Cette mer écumante, grondante, violente, dévorante. Cette mer
qui le fascine. Jusqu'à la folie.

La mer, grouillante de vie, maltraitée par les hommes, qui la violentent, lui arrachent ses dernières ressources. Comme un ultime sursaut, la mer qui se rebelle, tempête, écume de rage.

Le fils, qui suit le chemin du père. Sans un mot. Il n'a pas choisi. Il n'a pas le choix. Il voit les affres de la mer, il voit la folie du père. Il voit la fin inéluctable, mais il ne se dérobe pas. Il suit ce chemin, tracé par d'autres que lui. Il n'y a pas d'autre voie. Entre le père et le fils, il n'y a pas de mots. le fils suit le père, c'est tout. Ils ne se parlent pas. Ils ne se quittent pas.

L'auteur nous emmène dans ce monde dur, où le sel brûle les yeux, la peau, où le vent mauvais mord et nous malmène. A bord de la Gueuse, un vieux rafiot, le père et le fils comme d'autres pêcheurs écument les dernières richesses que la mer peut leur offrir. Leur vie est rythmée par les marées. Mais cela ne suffit plus. Alors ils se font passeurs, aussi. Entre vie et survie, père et fils affrontent la mer et ses dangers, ils font face, dans la tourmente. La Gueuse au milieu de ce monde hostile, n'est qu'un fétu de paille se lançant à l'assaut de vagues monumentales.

Ce roman noir est court, dense, intense. Comme le père et le fils, nous sommes bousculés par les vagues, éclaboussés par l'écume de cette mer dangereuse qui attire le père dans ses filets comme lui les poissons dans la nasse. L'écriture de PK Dewdney est sombre, oppressante, tout comme l'ambiance du roman faite de ciels obscurcis et de vents déchaînés. Une écriture poétique aussi, âcre comme le sel, envoûtante, comme la mer.

Un roman qui nous raconte aussi ce monde, le nôtre, au bord du chaos.
Comme le fils, nous suivons ce chemin, absurde, d'un monde en débâcle, conscients de le voir s'effondrer sous nos yeux, y contribuant, malgré nous.

Un roman que je vous invite à découvrir. Laissez-vous emporter par ce livre. Laissez-vous ensorceler par la plume de l'auteur. Un livre qui laisse des traces, bien après que la tempête soit passée, bien après que le livre ait été refermé.

Retrouvez cette critique au format Audio sur le site de Radio Béton - Des poches sous les yeux (voir lien ci-dessous)
Lien : http://www.despochessouslesy..
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Quelque part en mer, le père et le fils.
Marins pêcheurs, ils partent sur la Gueuse affrontant les éléments capricieux, sortant le navire en désespérance pour ramener quelques poissons à vendre à la criée, passant des réfugiés pour quelque argent salvateur. Pas de mots échangés, pas de regards, juste l'habitude des gestes qui s'usent, juste le roulis incessant, l'onde salée, la taule rouillée.
Quelque part en mer, le père et le fils dans un huis-clos oppressant.

Dès les premières pages, dès la première sortie en mer narrée à coup de ressacs, des réminiscences de le vieil homme et la mer ont giclé d'entre les lignes. Je me suis laissée bercer par ces souvenirs de solitude et d'exaltation malgré le chaos. J'ai vécu les gestes répétés, les rituels usés et le rôle de chacun sur l'embarcation comme une litanie hypnotisante et magistrale. J'étais spectatrice d'une nature brutale et fascinante.
Trois personnages occupent tout l'espace. le père, blasé, taiseux, fou peut-être d'avoir navigué à l'excès. La fièvre de l'écume. Il est une ombre écrasante, il est l'âme du navire. le fils, claustré par la force muette du père, enchaîné et soumis à la Gueuse, le fils qui bout de l'intérieur, le fils qui crève doucement de son asservissement résigné. Et la mer. La mer en colère. La mer abîmée. Salie.
Puis la rupture. Il y a le passage en Angleterre de cette famille de migrants. La bascule du roman, le noir le plus total, quand la tragédie humaine se confronte à la démesure, quand la petitesse de l'Homme émerge au milieu des vagues impérieuses.
164 pages d'une rare densité, chaque phrase de Patrick K. Dewdney lue est ressentie charnellement, chaque mot glisse de la pupille à l'épiderme, chaque mot pèse sur la poitrine. Passer dessus trop hâtivement te ferait perdre la saveur des embruns, ou la rage du fils, ou cette lumière noire au fond de l'oeil de l'enfant réfugié. Surtout s'attarder. Surtout s'immerger. L'auteur nous précipite intégralement dans cet univers maritime, dans un texte ponctué d'un vocabulaire expert. Un texte dont il faut savourer la musique mélancolique, et se laisser bousculer par une poésie brute.
Pour moi, une vraie littérature de l'exigence.
A découvrir !
Lien : http://www.aupouvoirdesmots...
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