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Critique de dourvach


"Le dieu venu du Centaure" ["The Three Stigmata of Palmer Eldritch", 1964 ; traduit de l'américain par Guy Abadia pour le compte des éditions Opta en 1969] est un égal qualitatif — dans sa fantastique profusion d'imaginaire — de la "trilogie de la Mort" que formeront quelques années plus tard "Ubik" ["Ubik", 1969], "Le guérisseur de cathédrales" ["Galactic Pot-Healer", 1969] & "Au bout du labyrinthe" ["A Maze of Death", 1970].

Sommet parmi d'autres chefs d'oeuvre de romanesque débridé, disséminés dans la carrière prolifique du grand Californien (1928-1982) : "Loterie solaire" ["Solar Lottery", 1955], "Les pantins cosmiques" ["The Cosmic Puppets", 1956], "Glissement de temps sur Mars" ["Martian Time-Slip", 1964], "Le Maître du haut-Château" ["The Man in the High Castle", 1962], "A rebrousse-temps" ["Counter-clock World", 1967], "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" ["Do Androids Dream of Electric Sheep ?", 1968]... qui fut adapté du vivant de l'auteur par Ridley Scott sous le titre "Blade Runner", sorti en 1982 et que "Phil" n'eût malheureusement plus le loisir d'admirer... Ce pour ne citer que ses romans les plus justement célèbres !

Les livres de DICK — romans comme nouvelles dites de "s.-f." — se lisent (et se sont d'ailleurs écrits) à une vitesse supersonique, née du talent si original de l'auteur mais aussi de cette aisance fort démocratiquement procurée par la tachypsychie amphétaminée, "cadeau" de la dernière guerre inondant les drugstores californiens, dont ceux d'Orange County... (Ne s'agissait-il pas aux pilotes U.S. d'éviter de "piquer du nez" au cours de leurs très longues missions à fort risque létal ?)

Tout nous bouleverse et nous séduit curieusement, quand certains personnages présentés semblent n'avoir que l'épaisseur du papier à cigarettes...

"Semblent" car la superficialité n'est là aussi qu'illusion : l'auteur vient "incarner" lui-même pratiquement chacun de ses personnages, "armé" de sa désarmante mais exemplaire empathie : comme pour ce Richard Hnatt dont nous nous trouvons à partager les pensées lorsqu'il se retrouve ligoté comme un cobaye passif et effrayé sur la table d'Evolthérapie de la Clinique "haut-de-gamme" du Dr Denkmal... et découvrons alors que nous avons accès à la cosmogonie personnelle de Philip K. Dick...

Et l'humour foudroyant du pince-sans rire" de Philip K. Dick, énonçant calmement la phrase suivante :

"Ils se trouvèrent bientôt devant un vaste laboratoire équipé de tout l'attirail scientifique et de deux tables à la Frankenstein au grand complet, sans oublier les fers destinés à entraver les poignets et les chevilles."

Et quelques pages plus tard (surtout si vous avez l'imprudence de rouvrir le livre à trois heures du matin), vous sentirez la réalité se dérober sous vos pas, se fragmenter bizarrement, partir en loques...

Ce charmant Combiné "PerkyPat" [or "P.P. Layouts, Inc."] des "Poupées Pat" (simili-Ken & Barbie, et leurs nombreux amis.. ) que n'aura nul besoin de fournir à ses clientèles captives la firme concurrente, responsable de la production du terrible K-Priss, lichen exporté (bien sûr illégalement mais avec le soutien d'une O.N.U. en perte totale de repères) du système stellaire de Proxima du Centaure...

C'est que... (et la publicité du Tout Nouveau Produit, pour une fois absolument pas mensongère pour un sou, nous annonce clairement la couleur avant d'inonder le marché de notre Solar System ) : " DIEU PROMET LA VIE ÉTERNELLE. NOUS, NOUS LA DISPENSONS. "

A nos risques et périls, bien sûr... Pas de retour-en-arrière possible, évidemment ! (mais en ce monde devenu sans issue, ma foi...).

Il est clair que le Capitalisme semble, au fond, avoir un sérieux béguin pour la paix des grands cimetières intergalactiques (Il fait 80° Celsius à l'aube sur les boulevards désertés de New York : la circulation souterraine y est chaudement recommandée)... Un des moyens de son expansion est — tout de même — de conserver vivante sa clientèle, non ?

La mort, le temps, les menaces qui se multiplient, la fuite en avant du récit, ces inévitables couples qui se défont et se déchirent... et, sous la fluence de l'humour contextuel de l'auteur, les cent mille signes de perte de nos repères spatio-temporels : "Où s'est planqué le réel, nom d'un chien ?" ...

"Dites, est-ce que nous sommes encore dans le Jeu ?" s'écrie, effaré, l'un des joueurs (butant sur le cadavre sanguinolent d'un autre joueur) à la fin du très "dickien" "eXistenZ" [1999], film-phare de David Cronenberg...

Tout le problème de ces humains conditionnés (nos frères et soeurs, personnages de roman d'un futur dévasté par ce cauchemar entropique d'un échauffement climatique sans retour en arrière envisageable) ayant à faire un "choix" entre les prises de "D-Liss" ["Can-D" in english] ou de "K-Priss" ["Chew-Z"]...

Soit une pharmacopsychose généralisée — inéluctable et finale — qui risque bien de leur être fatale : Palmer Eldritch (et son redoutable pouvoir de corrompre leur existence déjà si précaire) — ce "dieu venu du Centaure" aux trois stigmates (dont la fameuse et terrifiante mâchoire d'acier, yeux fendus et bras articulé depuis le "crash" de sa fusée à la surface de Pluton) existe-t-il réellement ?

N'oublions pas que "The Three Stigmata of Plamer Eldritch" fut (également ou surtout) écrit en ce début d'année 1964 pour tenter d'atténuer la charge émotionnelle d'une vision : celle d'une déité maléfique REELLEMENT apparue à son auteur, quelques semaines auparavant, dans le ciel nu au-dessus de sa tête. Cet "artifice" ou ce choix vital de transférer cet élément de son tableau hallucinatoire dans une fiction devait —pensait-il — lui éviter (au moins temporairement) de basculer dans la folie... Ligoté à ses responsabilités conjugales et paternelles, Dick avait "une famille à nourrir" et devait continuer sur le rythme d'une demi-douzaine de romans à produire ou "fournir" chaque année... Depuis ses premières nouvelles, la magie noire de la "méthamphé" a fait le reste... C'est bien elle qui le fera disparaître (pancréas et cerveau totalement "cuits", reliefs assaisonnés aux vapeurs éthyliques) à l'âge de 53 ans.

Un cauchemar en treize chapitres décisifs... Où le fantasme gagne sans cesse du terrain, jusqu'à contaminer tout le réel. Et répétons-le : NE STRICTEMENT PAS REPRENDRE UNE DOSE A DEUX HEURES DU MATIN POUR ESSAYER DE SE RENDORMIR ! D'ailleurs, une seule imprudente mastication suffit pour le voyage sans retour... Ne parlons pas d'une seconde prise trop rapprochée ni d'une surdose qui "vertiginiserait" (définitivement) tous vos ressentis et détraquerait (pour toujours) la Flèche du Temps...

Mais lisez bien vite les magnifiques "papiers" de mes collègues en Dickolâtrie, ci-dessous : bien plus précis, fouillés, documentés que le mien, si vite expédié ! Mais vite, vite, une nouvelle dose de "métamphé"... Bon sang, voilà que quelqu'un — salaud qui ne pense qu'à me nuire — s'est encore servi dans MON armoire à pharmacie et en a gardé la clé ! Au secours !!!

NOTE : un précieux sésame pour une parfaite connaissance de la trajectoire existentielle parfaitement christique de son auteur ? Une dense biographie, extrêmement fluide et sans doute "définitive" dûe à un Universitaire de Minneapolis, Lawrence SUTIN. Ce magnifique essai [qu'on peut acquérir une misère, au prix de vente public de 10,30 €] s'intitule : "Invasions divines. Philip K. Dick, une vie" [1989, traduit de l'américain par Hélène Collon en 1995 pour le compte des éditions Denoël, collection Présence du futur" — réédité chez Gallimard pour leur collection "folio SF"] : travail découvert en anglais et immédiatement "vampirisé" par notre écrivain-chouchou national E. Carrère... Sorte de bon vieux D-Liss ingurgité par ce dernier, qui lui permit de régurgiter bientôt une "biographie romancée" [???] dickienne finement intitulée "Je suis vivant et vous êtes morts" [*], parue en 1993 et immédiat "succès de librairie"...

[*] ... réplique là aussi "piquée" à ce brave Runciter, prévenant fraternellement son employé Joe Chip dans le célèbre "Ubik" de l'an 1969...
Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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