Citations sur Le temps désarticulé (13)
— Dans une guerre civile, décréta Ragle, les deux camps sont mauvais. Inutile de chercher à démêler quoi que ce soit, tout le monde est victime.
Ceci est la réalité.
Et j'en fais partie.
Rien ne bougeait. Aucun son nulle part. Enfants, voitures et vent : tout s’était tu.
La pièce de cinquante cents tomba et s’évanouit.
Je suis en train de mourir, songea Ragle. Ou bien… (…)
Pas encore.
Pas encore.
Ça m’arrive encore une fois.
La buvette se désagrégea en fines molécules incolores et indistinctes. Ragle commença à voir au travers, à voir la colline derrière, les arbres et le ciel. (…)
À la place de tout ceci, une petite étiquette. Ragle tendit la main et s’en empara. Sur le papier était imprimé en capitales :
BUVETTE
Dans les camps de concentration, les lunatiques subissaient un lavage de cerveau systématique, bien qu’évidemment la désignation officielle de leur traitement fût fort différente : dans la perspective d’un nouveau système d’éducation, l’individu était libéré de ses préjugés, de ses convictions erronées, de ses obsessions névrotiques et de ses idées fixes. Un savoir accru l’aidait à devenir plus adulte, et une fois le stage terminé, c’était un homme meilleur.
Il vit dans les tranquilles années 50.
Il participe au concours du quotidien local de sa tranquille localité.
Il vit au milieu du livre du mois, de James Dean, des tubes à la mode, des Volswagen, des supermarchés.
Il se nomme Ragle Gunn.
Et il est inquiet.
Sur les annuaires, les noms ne correspondent plus aux abonnés.
Et dans un fragment de vieux journal, il vient d'apprendre que Marilyn Monroe est morte...
Quel est donc ce complot ? Où est le passé ? Où est l'avenir ?
Et qui donc a piégé le présent ?
(quatrième de couverture de l'édition de poche parue en 1975)
Des mots, songeait Ragle.
Le problème central de la philosophie. La relation entre le mot et l'objet... qu'est-ce qu'un mot ? Un signe arbitraire. Mais nous vivons avec des mots. Notre réalité se situe dans un univers de mots, non de choses. D'ailleurs, une chose, cela n'existe pas, c'est un gestalt au sein de l'esprit. La "chosité"... le sens de la substance. Une illusion. Le mot est plus réel que l'objet qu'il désigne.
Le mot ne représente pas la réalité, le mot est la réalité. Du moins pour nous. Dieu, lui, parvient peut-etre à atteindre l'objet. Mais pas nous.
Quand quelqu'un vous pose une question, il faut répondre quelque chose et faire semblant de savoir.
Notre réalité est criblée de fuites. Une goutte par ici, deux ou trois gouttes par là. Une tache d'humidité qui se forme au plafond. Mais pourquoi ? Qu'est-ce que ce la veut dire ?
[...]
D'une certaine manière, Ragle s'est plus ou moins surpris à percer la réalité. A élargir la brèche. Ou bien il s'est trouvé face à une brèche en train de s'agrandir pour devenir une immense déchirure.
[...] J'ai aussi pensé à m'en servir pour aller suivre des cours à l'université.
- Des cours de quoi ?
- Oh! disons... de philosophie."
Vic ne manqua pas de s'en étonner. "Tiens, pourquoi?
- La philosophie n'est-elle pas à la fois un refuge et un réconfort ?
- Je l'ignorais. Autrefois, oui, peut-être. Mais j'ai le sentiment que la
philosophie, aujourd'hui, cela consiste à émettre des théories sur les
limites de la réalité et à essayer de découvrir le Pourquoi de la vie."
Sans reculer, Ragle répliqua: "Et alors ?
- Alors rien, si tu estimes que cela peut t'aider.
- J'en ai déjà lu dans le temps. Je pensais à l'évêque Berkeley, aux idéalistes. Par exemple..."
D'un geste de la main, il indiqua le piano placé dans l'angle de la pièce. "Comment savons-nous que ce piano ?
- Nous ne le savons pas, observa Vic.
- Peut-être n'existe-t-il pas."
Sous l’illustration figurait une légende : Marilyn Monroe durant son séjour en Grande-Bretagne lors du tournage de son film avec Sir Laurence Olivier.
- Avez-vous déjà entendu parler d’elle ? S’enquit Margo.
- Non, avoua Ragle.
- Ce doit être une starlette anglaise, dit Vic.
- Non, contra Margo. C’est marqué qu’elle effectue un séjour en Grande-Bretagne. On dirait un nom américain.