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Critique de JacquesBonhomme


Fin d'année au lycée. Fin de semaine, fin de journée. Classe de seconde. Cours d'éducation civique. Il semble que je suis professeur.

Nous travaillons sur la laïcité. le sujet me tient à coeur - ou plutôt aux tripes - mais j'essaye surtout d'aider mes ouailles (trop mégaLOL) à quitter les automatismes et prendre du recul avec le concept, quitte à savoir aussi penser contre. C'est difficile, mais quand on respecte ses élèves on ne les assigne pas à résidence dans l'idiotie. Éduquer, conduire en dehors, en dehors de l'ornière. Bref je m'efforce d'exercer mon ministère selon les principes canoniques: j'éclaire contre les préjugés, j'installe cette forme de neutralité qui se situe dans l'héritage des Lumières (on ne va pas faire semblant de donner dans le relativisme intégral, les Lumières, au pluriel, sont la base de notre projet scolaire comme elles sont la base de notre constitution).

- Viens en aux faits, Jacques, parle nous de tes amours.

- J'y viens mon Maître.

J'écoute le gracieux babil des élèves sur le sujet des documents proposés. Pour beaucoup il n'y a rien à écouter. le sujet leur semble totalement étranger. D'autres paraissent également avoir une culture religieuse très nettement inférieure à celle d'un spectateur distrait de Don Camillo (du temps où les petits Français étaient familiers de Fernandel tout le monde connaissait au moins le mot "soutane", c'est du passé) mais ils se lancent dans un plaidoyer pour la tolérance, le respect, le droit à la différence (je devrais signer des deux mains, mais l'automaticité du relativisme par grand vent, sans recul, sans questionnement, je tique. D'autres ont un discours plus offensif, un peu mécanique. La loi de 1905 a instauré un régime liberticide. Depuis en France on étouffe. Quelques uns plutôt rares, se positionnent nettement en faveur d'une laïcité sans adjectif.

Je garde le demi-sourire. Je reste dans la nuance et le dialogue construit. Gravitas professorale. Mais je suis un peu fatigué aujourd'hui. Cuirassé dans mon costume en velours côtelé fabriqué en Bourgogne, retranché derrière mes lunettes sales, les images défilent dans ma tête, mon surmoi laïcard commence à faire des bulles. Surgissent devant mes yeux pêle-mêle le chevalier de la Barre, Francois Rabelais, Pierre Bayle, Giordano Bruno, Luther, Alfred Dreyfus, Anatole France, monseigneur Dupanloup, Franco, Pétain, Ben Laden, Démocrite, Lucrèce, Georges Clemenceau, Denis Diderot. Et puis, au fond de mon sac, je garde l'excellent opuscule historique de Bertrand Binoche: Écrasez l'infâme!
Je garde le demi-sourire. Je reste dans la nuance et le dialogue construit. Gravitas professorale. Mais.

J'ai beau avoir donné pour Notre-Dame, milité pour une connaissance fine et nuancée (mais non exempte d'une certaine fierté joyeusement filiale cf. Renan) de notre histoire et de notre mémoire et donc des questions religieuses, participé (très modestement pour des tâches mineures) à une édition des poèmes d'Ibn Arabi, malgré cela en moi le laïcard bouillonne. Il crève d'envie de jeter tout à trac à ses élèves :
- C'est quoi ces raisonnements spécieux à la mords moi le zouzou? La question a déjà été tranchée il y a plus de deux siècles! Demandez à Suzanne Simonin. Non mais! Lisez Diderot, ça réveille. Et ça ne concerne pas que la place de la religion dans la société. Ça réveille en général. Des questions?
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