- Ils sont pas rentrés, elle les a fabriques avec le bouc. Ils étaient très amoureux.
- Mais le bouc il est resté même pas un jour, ils ne se connaissaient presque pas, ils pouvaient pas être amoureux.
- Ah si. Ça s’appelle un coup de foudre .
Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sur que ça n’arrive pas dans la vraie vie.
Maman, pourquoi t’as raté ta vie?
Quelque chose s’était fossilisé à l’intérieur. Je me suis dit que c’était un mauvais signe. Je refusais d’être une proie ou une victime, mais je voulais rester vivante. Avec des émotions.
Son goût pour l’anéantissement allait m’obliger à me construire en silence, sur la pointe des pieds.
Je savais qu'une vie sans rire, sans choix et sans amour était une vie gâchée.
Ce qui me frappait, c'était que mon père n'avait commencé à manifester de l'intérêt pour Gilles qu'à partir du moment où la hyène s'était installée dans sa tête. Je crois qu'il aimait la vermine et qu'il faisait tout ce qu'il pouvait pour la nourrir. Moi, je m'eloignais et j'étais de plus en plus seule.
J'aimais la nature et sa parfaite indifférence. sa façon d'appliquer son plan précis de survie et de reproduction, quoi qu'il puisse se passer chez moi. Mon père démolissait ma mère et les oiseaux s'en foutaient. Je trouvais ça réconfortant. Ils continuaient de gazouiller, les arbres grinçaient, le vent chantait dans les feuilles du châtaigniers. Je n'étais rien pour eux. Juste une spectatrice. Et cette pièce se jouait en permanence. Le décor changeait en fonction de la saison, mais chaque année, c'était le même été, avec sa lumière, son parfum et les mûres qui poussaient sur les ronces au bord du chemin.
Chez nous, les repas familiaux ressemblaient à une punition, un grand verre de pisse qu'on devait boire quotidiennement.
C'était un de ces soirs d'août où on a si bien pris l'habitude du soleil et de la chaleur qu'on a l'impression qu'ils vont durer toujours. Et lorsqu'on tombe par hasard sur une veste chaude ou une paire de Moon Boots, dans un placard, on les regarde avec une impression confuse et on se demande dans quelles circonstances on a bien pu en avoir besoin. Un de ces soirs où on se prend à croire qu'on passera le reste de son existence en short, en tee-shirt et en tongs.