Gilles, je l'aimais d'une tendresse de mère. Je le guidais, je lui expliquais tout ce que je savais, c'était ma mission de grande sœur. La forme d'amour la plus pure qui puisse exister. Un amour qui n'attend rien en retour. Un amour indestructible. (p. 15)
La maison de Monica était à moitié mangée par le lierre. C'était joli. Parfois, le soleil tombait dessus à travers les branches, ça ressemblait à des doigts qui la caressait. Je n'ai jamais vu les doigts du soleil sur ma maison (p. 15)
Incipit :
A la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres.
Des daguets, des sangliers, des cerfs. Et puis des têtes d'antilopes, de toutes les sortes et de toutes les tailles, springboks, impalas, gnous, oryx, kobus... Quelques zèbres amputés du corps. Sur une estrade, un lion entier, les crocs serrés autour du cou d'une petite gazelle.
Et dans un coin, il y avait la hyène.
Tout empaillée qu'elle était, elle vivait, j'en suis certaine, et elle se délectait de l'effroi qu'elle provoquait dans chaque regard qui rencontrait le sien. Aux murs, dans des cadres, mon père posait, fier, son fusil à la main, sur des animaux morts. Il avait toujours la même pose, un pied sur la bête, un poing sur la hanche et l'autre main qui brandissait l'arme en signe de victoire, ce qui le faisait davantage ressembler à un milicien rebelle shooté à l'adrénaline du génocide qu'à un père de famille.
Évidemment, je finissais toujours par m'apercevoir [...] Que la vie est une grande soupe dans un mixer au milieu de laquelle il faut essayer de ne pas finir déchiqueté par les lames qui vous attirent vers le fond.
"On dit que le silence qui suit Mozart, c'est encore du Mozart. On ne dit rien du silence qui suit un coup de feu. Et la mort d'un homme."
"Il n'y avait aucune malice dans cette question. C'était une vraie question. La vie de ma mère était ratée. Je ne savais pas s'il existait des vies réussies, ni ce que ça pouvait signifier. Mais je savais qu'une vie sans rire, sans choix, et sans amour était une vie gâchée."
"Le voyage dans le temps, c'est comme l'immortalité, c'est un fantasme compréhensible, mais il faut apprendre à accepter l'inacceptable. L'homme veut comprendre, c'est sa bonne nature, sa nature d'enfant. Observe, comprends, explique, c'est ton boulot de scientifique. Mais n'interviens pas. L'univers a ses lois, ça fonctionne, c'est un système qui s fabrique lui-même, à la fois architecte, manœuvre et produit, tu ne seras jamais plus maligne que lui."
"D'ailleurs, tout le monde à l'école était mou. Les profs, les élèves. Les uns étaient bêtement vieux et les autres allaient vite le devenir. Un peu d'acné, quelques rapports sexuels, les études, les gosses, le boulot et hop ! Ils seront vieux et ils n'auront servi à rien. Moi, je voulais être Marie Curie. Je n'avais pas de temps à perdre."
"Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n'arrive pas dans la vraie vie."
Cet été s’est achevé comme il avait commencé. Une longue agonie.