Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n’arrive pas dans la vraie vie.
Que la vie est une grande soupe dans un mixer au milieu de laquelle il faut essayer de ne pas finir déchiqueté par les lames qui vous attirent vers le fond.
(p. 115) Je suis passé devant un jardin minuscule dans lequel un homme très gros dormait en slip de bain sur une chaise longue en plastique sale. Sa peau était blanche en dessous, rouge au-dessus. J'ai pensé à une panna cotta à la framboise. Un peu plus loin, un autre homme, très gros aussi, lavait sa voiture, torse nu. Je me suis souvenue du torse du champion de karaté et je me suis demandé comment il était possible d'avoir deux torses si différents dans la même espèce animale. Je commençais à avoir des raisonnements scientifiques, à force d'étudier.
Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n'arrive pas dans la vraie vie.
La vie est une grande soupe dans un mixer au milieu laquelle il faut essayer de ne pas finir déchiqueté par les lames qui vous attirent vers le fond.
Je ne savais pas s'il existait des vies réussies, ni ce que ça pouvait signifier. Mais je savais qu'une vie sans rire, sans choix et sans amour était une vie gâchée.
P24: c'était important le journal télévisé pour mon père. Commenter l'actualité lui donnait l'impression d'avoir un rôle à y jouer. Comme si le monde attendait ses réflexions pour évoluer dans le bon sens.
Son goût de l'anéantissement allait m'obliger à me construire en silence, sur la pointe des pieds.
Derrière notre jardin, il y avait le bois des Petits Pendus, une vallée verte et brune, deux pentes qui formaient un grand "V" au fond duquel s'entassaient des feuilles mortes. Et au fond de la vallée, à moitié ensevelie sous les feuilles mortes, il y avait la maison de Monica. On allait souvent lui rendre visite avec Gilles. Elle nous avait expliqué que c'était la griffe d'un dragon qui avait formé le "V". Le dragon avait creusé la vallée parce que le chagrin l'avait rendu fou. C'était il y a très longtemps. Elle racontait bien les histoires, Monica. Ses longs cheveux gris dansaient sur les fleurs de sa robe. Et ses bracelets tintaient autour de ses poignets.
"D'accord ma puce."
Ma puce. J'ai cru que mon cœur aller exploser.
Ma puce. Mon père m'avait appelé "ma puce".
Ces deux mots ont tournoyé dans mes oreilles comme des lucioles, puis sont allés se faufiler au fond de ma poitrine.
Leur lumière a brillé là pendant plusieurs jours.