Citations sur Reste (165)
M. est là, allongé près de moi. Il est mort.
Il est mort.
J'espère, en les écrivant, que ces mots m'aideront à appréhender cette réalité.
Je les observe, les déchiffre tandis qu'ils se forment sous ma main, les écris encore, pour en saisir la chair.
Ils m'échappent, me glissent hors des yeux, je recommence.
On dit séparation, divorce, rupture, on fait le deuil du passé, alors que le chagrin d'amour fait plutôt le deuil de l'avenir
Ces journées me semblaient infinies. Avec M. elles étaient toujours trop courtes. Au début on se retrouvait le matin, vers 9 heures, et on ne se quittait qu'à 17 heures. J'appelais le lycée, prétextais une indisposition quelconque. Lui, il déléguait le boulot à ses collègues, inventait un déplacement imprévu.
Je pensais que ça ne durerait pas, le sentiment d'urgence nous rendait imprudents, fiévreux. Nos huit heures s'évaporaient si vite que ça me mettait en colère. Comment une journée de cours pouvait-elle être si longue, une journée d'amour si courte ? Pourquoi n'avait-on aucun contrôle sur le temps ?
L'auteure cite Albert Camus : "Plus je vieillis et plus je trouve qu'on ne peut vivre qu'avec les êtres qui vous libèrent, qui vous aiment d'une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. La vie d'aujourd'hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu'on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui on aime."
En me retournant sur mes relations passées, est-ce que je les regarde avec lucidité ? Ou est-ce que je pose un regard biaisé par le chagrin de la rupture ? Même les historiens manquent d'objectivité...
Je fais le deuil de lui depuis le début. Je n'ai rien à regretter, je n'ai pas gaspillé seconde. Je l'ai aimé comme je n'aurais pas pu aimer à vingt ans. Je crois qu'on ne s'aime vraiment qu'à l'ombre de la mort. Ou quelque chose comme ça.
Comment garder l'odeur de ses mains ? Le goût de sa bouche, de son sexe ? Le velours de ses fesses ? Sa langue à l'intérieur de moi, la rugosité de son menton, son front fatigué, sa joue endormie contre ma poitrine, son souffle dans mes cheveux, nos heures de fièvre, nos corps comme des jungles à explorer, dont nous étions devenus les spécialistes à force d'expériences, de discussions, de ratages, de fous rires ?
Sur la route, le ballet des vacanciers reprenait doucement. Kayaks ou vélos sur les toits des voitures, de la vallée au sommet ou inversement, le troupeau promenait ses mômes et son ennui.
M. aurait dû venir, me prendre par la main, faire une longue promenade avec moi, comme il l'avait fait quatre jours auparavant. Me parler, essayer de me pousser dans le ruisseau, m'embrasser contre un arbre à m'en tatouer I'écorce dans le dos.