Ce livre, je n'étais pas vraiment sûre de vouloir le lire, je le pensais éloigné de mes goûts littéraires. Pourquoi ? Parce que je n'aime pas trop les romans d'amour.
J'avais également peur du thème sur le décès de l'être aimé. Mais Magali (@Ladybirdy) a su me convaincre et puis, j'avais vraiment aimé un des romans précédents de l'autrice, «
La vraie vie ». Je me souviens du malaise que j'avais ressenti. Il en faut du talent pour faire ressentir de telles sensations !
Ce roman-ci aussi, dans une certaine mesure, m'a troublée, dérangée, mais aussi emportée à l'autre bout du monde par la force émotionnelle du récit.
*
Le jour se lève. La lumière de l'aube dessine, sur un paysage lacustre de haute montagne, un sentiment de solitude, de vide, d'isolement.
De la couverture, du titre «
Reste », retentit en moi un cri silencieux qui rebondit sur les parois de la montagne et se perd, se noie sur la surface bleutée et froide du lac. C'est ce ma première impression au moment de débuter ce récit.
La narratrice passe quelques jours privilégiés avec son amant M dans un chalet au bord d'un magnifique lac de montagne. C'est le matin, elle se lève tranquillement, le corps encore engourdi de sommeil et d'amour. M est parti nager, comme chaque matin.
« J'avance seule dans le brouillard
C'est décidé ça y est, je pars
Je m'en vais
À l'autre bout du monde »
Son regard se pose sur le lac, froid, bleu acier, sans aucune ridule pour l'apercevoir en train de nager. Elle remarque alors une forme inhabituelle à fleur d'eau, inerte, sombre. Elle met quelques instants à réaliser l'impensable.
M est mort.
« J'arrive sur les berges d'une rivière
Une voix m'appelle puis se perd
C'est ta voix
À l'autre bout du monde »
C'est un choc, un électrochoc. Quelque chose se brise en elle. Elle se sent seule, perdue, personne pour lui venir en aide, la soutenir, lui dire quoi faire. Et puis, elle ne veut pas que des inconnus le touchent, s'occupent de lui, le lui prennent, l'emportent loin d'elle. Elle ne peut se résoudre à être dépossédée de sa présence, de sa mort. Elle ne veut pas rendre le corps à la famille, pas tout de suite.
« Ta voix qui me dit mon trésor
Tout ce temps, je n'étais pas mort
Je vivais
À l'autre bout du monde »
Elle a besoin de temps pour accepter son décès, lui dire au revoir, le laisser partir, faire son deuil. Alors elle le sort de l'eau, le rentre dans la maison et elle décide de le garder pour elle quelques heures.
Quelques jours…
« Sur la rivière il pleut de l'or
Entre mes bras je serre ton corps
Tu es là
À l'autre bout du monde »
Mais elle ne veut pas que son épouse s'inquiète de ne pas le voir rentrer, alors elle lui écrit une lettre pour l'informer de son décès. Parfois, j'ai eu l'impression que l'épouse s'effaçait, et que la narratrice me parlait de sa vie, de sa relation avec les autres, avec M.
Au départ, j'ai été glacée par ce récit sous la forme d'un long monologue : il m'a paru froid et distant comme le bleu minéral de ce lac. Et puis, j'ai perçu petit à petit, combien les apparences étaient trompeuses. C'est au contraire une lettre qui se veut douce et aimante, une lettre pour dire combien M lui était précieux.
Et en écrivant, son esprit s'égare sur les rives du temps, remonte le cours de son histoire.
Elle réalise ce que M lui a apporté dans sa vie, elle qui s'enfermait dans les désirs des autres, des hommes qui ont partagé sa vie, si on peut parler d'un partage. En vivant cette relation clandestine avec M, elle s'est affranchie de la relation de couple reposant sur l'unilatéralité et non sur la compréhension mutuelle.
Pas de promesses.
Pas de contraintes.
Pas d'engagements.
Pas de dépendance.
« M. m'avait appris à prendre ma place, à prendre forme. Avant lui j'étais une matière molle, presque liquide, qui s'ajustait aux nécessités de l'autre.
En m'interrogeant continuellement sur mes besoins, il m'avait appris à m'y intéresser, à les autoriser. À m'autoriser. Il me laissait de l'espace sans laisser de vide. Je me suis solidifiée à son contact, un noyau s'est formé au centre de la matière molle. »
Sa réaction m'a paru étrange, décalée, je me suis demandée si elle n'était pas partie dans un autre monde, un espace intérieur qui se libèrerait d'une trop grande souffrance, d'un trop grand vide.
M est présent dans chaque mot, dans chaque respiration, on ressent de plein fouet cet amour qui déborde de chaque ligne du texte.
« Je te rejoins quand je m'endors
Mais je veux te revoir encore
Où est-il
L'autre bout du monde »
*
L'autrice a écrit ce roman en écoutant de la musique. J'ai ressenti un rythme, une musicalité des mots qui m'ont enveloppée et accompagnée tout du long.
Parmi les titres que l'on trouve à la fin du livre, se trouve un titre qui a ma préférence, c'est « A l'autre bout du monde » d'Emilie Loizeau. Les paroles de cette chanson ont résonné dans ma tête tout du long de ce récit, mélange de rêves et d'espoir, de souvenirs et de tristesse, de solitude et de douleur.
Le texte est très beau et prévenant, introspectif et profond, d'une justesse incroyable, sans pathos ni larmes. Certains passages sont difficiles à lire, mais magnifiques par l'entièreté de cet amour. Des mots reviennent, silence, mensonge. Et avec ce silence, une impression de claustrophobie, d'étouffement.
Alors bien sûr, dans ce roman, il va être question du temps qui passe et des souvenirs, de la fragilité de l'amour, de l'acceptation de la mort et du deuil.
J'ai aimé le ton qui s'affranchit des normes et des contraintes sociales, de la bienséance, du politiquement correct.
Adeline Dieudonné n'a pas son pareil pour parler en toute franchise de la réalité des femmes, des mères et des épouses. Ainsi, elle aborde également la place des femmes dans la société et les relations entre hommes et femmes.
*
Pour conclure, «
Reste » est un roman épistolaire parfaitement maîtrisé, un livre sensible et marquant qu'il est difficile de lâcher. Je l'ai lu quasiment d'une traite, me retrouvant littéralement en apnée, impatiente de découvrir comment l'autrice allait conclure ce récit.
Une belle surprise qui m'a poussée à lire à la suite «
Kérozène ».