Citations sur Trois fois la fin du monde (146)
Tiens, c'est un tilleul qui dépasse au fond. les tilleuls, je connais. La grand-mère, elle en faisait des tisanes. Avec les petites feuilles à boule, ah ouais, des miniparachutes, on joue... C'était le bon temps, ces vacances à la campagne.
Il y a un silence. Un silence total, sans voitures, sans bruit nulle part. Qu'est-ce qu'on est censés se dire quand on se rencontre plusieurs semaines après une catastrophe ayant supprimé la moitié de la population ?
La mort vint un matin.
Il a suffi d'une longue fissure, d'une explosion. De l'air soufflant la mort par des rayons.
D'invisibles radiations et tout a commencé.
D'invisibles radiations qui très vite ont tué.
Je change, mais au fond de moi je n'accepte pas. Comment ces connards nous parlent, cette manière de nous dégrader, le haut-parleur qui siffle toute la journée, et le racket sur nos cantines, chaque détail jusqu'au plus dérisoire soumis à un règlement souverain, archaïque, omniprésent, et pour tout dire carrément imbécile.
Le temps passe, cruellement, lentement, et l'envie de hurler, de hurler comme un fou, me prend parfois en retour de promenade, quand la serrure tourne avec un bruit sinistre et que je suis enfermé pour quarante huit heures dans cette cellule noire. j'ai envie de tuer, de frapper, de mourir.
Ce que je suis en train de vivre me sidère tellement, je me dis ce n'est pas possible, on va me sortir de là, c'est une blague, un cauchemar, ce scandale va cesser. Les gens du Dehors ne savent pas, l'apprendront, vont faire quelque chose. Une pareille abomination ne peut pas se passer dans mon pays. Ce genre de prison, ça ne peut exister que dans un quelconque Bélouchistan , dans un pays lointain, sans smartphones ni élections, mais pas en France, pas chez moi. Mais je ne parle à personne de cette sensation de scandale. On me traiterait encore de naïf primaire, celui qu'il faut affranchir, celui qu'il faut dépuceler, celui à qui on va apprendre la vie, et j'en ai assez pour le moment.
J'ai dit oui à Tonio. Je le regrette aujourd'hui. Mais la vérité, c'est que ça me faisait kiffer d'aider Tonio. J'en avais marre d'être rangé, d'avoir gagné ma petite place au soleil en me soumettant à cette société qui nous dompte. Je n'ai pas pu dire non. Qui n'a jamais enfreint les lois, ne serait-ce que celles de la route ou du fisc ? Qui n'a jamais rien volé ou au moins envié celui qui le faisait ? Qui n'a jamais menti, fraudé, ou éprouvé de la colère face à la Loi, la Norme, la bondieuserie de Règle ? Eux ils disent Trouble, Effraction, Délinquance ; nous on dit Puissance, Vengeance, Liberté.
J'en vois passer des gosses coffrés pour des motifs minables. Fiers le jour, ils pleurent la nuit. Ils sont à peine majeurs mais la prison ne leur épargne rien...
Je change, mais au fond de moi, je n'accepte pas...
Et le miracle s'accomplit. La chatte grimpe sur ses genoux et s'assoit. Ce petit corps roux reste là, encore vibrant de crainte. Doucement, Joseph la caresse du plat de la main. Joseph sent alors une chaleur douce et profonde se répandre dans tout son corps. C'est un animal qui a dû souffrir de la vie sauvage, car il n'aura pas fallu longtemps pour qu'il prenne place sur les genoux d'un homme. Un animal affectueux. Ce dont il avait tellement besoin sans le savoir.
Joseph regrette de ne pas être une bête, de ne pas être un chevreuil se nourrissant de feuilles. Il regrette que ce soit lui qui doive diriger la ferme, s'occuper d'un mouton noir, de deux chattes innocentes et de sa propre subsistance. Il aimerait transmettre sa charge à une espèce supérieure qui aurait à son tour protégé sa vie.