Citations sur Coeurs, comme livres d'amour (11)
Je vis au centre de chaque jardin,
dans cette pulsation des heures
que recueille la lumière,
je m'abandonne au tremblement,
à la vague qui me nourrit,
à cette quiétude qui monte
comme un arbre arpente
les racines de sa solitude,
chancelle et fleurit.
Je choisis le vent pour me rappeler la précarité des choses,
l'ocre, le rouge pour éclairer la terre,
les oiseaux blancs, je choisis les branches cassées
pour me rappeler la descente
et l'envol, je choisis le feu qui brûle et transforme,
les mots qui pétrissent l'argile, les falaises abruptes
de Rilke, les vagues de Virginia Woolf (...)
Tu glisses tes doigts au milieu des miens
-la rose s'effeuille aussitôt
cherche à renaître. La terre
a basculé, nulle part
je ne te trouve, et les fissures que tu ignores
s'accumulent, défont le passé, défont l'amour
que je croyais vivre.
Effrayée par ma solitude
comme l’oiseau par le reflet de son vol
je cogne ma tête contre la vitre. Le jour
se déchire, laisse s’avancer la blessure à guérir.
« Humble dans mon corps, le matin se glisse:
l’odeur du café, du pain grillé,
tout ce temps entre nos mains
et je songe aux pommes de Césanne
sur la table, sereines, impérissables.
Le vent commence à froisser le jour
et pendant que je retourne à l’intérieur
des volées de mots s’agitent , bientôt
se posent sur des lignes compactes .
Je vois surgir le reflet de ton visage
la vie- tout ce temps -
s’ancre , comme un bateau enfin prêt
à affronter le voyage » .
Tout le jour, la neige alourdit l'étendue
affûte le silence.
Lentement je délie le chemin
de brouillard qui m'assaille.
Je referme la fenêtre sur un ciel
pareil à la terre, et ce monde
d'absence se résorbe :
s'apaise et s'éteint.
Au milieu de la page
— amour, qu'es-tu devenu —
le feuillage des mots emplit ta bouche
et tu voudrais pénétrer l'âme
des choses que jamais encore
tu n'as effleurée.
Sur le lac
Sur le lac, le vent saisit mes lèvres.
L’imperceptible pulsation du sang
mon souffle heurté, le ciel, la neige, l’ombre
avec la lumière se confondent.
Je ne reconnais rien du paysage
à l’intérieur de moi
je cherche le centre.
LA PLUIE DESSINE DES OMBRAGES…
La pluie dessine des ombrages, tu vois le lac se dénouer,
la saison a comblé le vide, parmi les ondes,
les années s’émiettent, devant toi, chaque trace
que tu croyais transparente s’embrouille
et se dissipe dans le présent.
Les feuilles s’arrachent à l’infini, aveugles de l’intérieur,
et alors qu’il ne reste plus un bruissement dans le décor,
une histoire glisse au fond des eaux,
pareille à une gare où il n’y aurait que des départs.
Où vas-tu, effrayée d’être avec ta vie qui se retourne, seule
avec des bagages éreintés, une vie
qui s’effrite, un dernier voyage au bout de l’absence ?
Du haut des falaises, tu imagines un chemin qui pointe
vers l’aube certaine, la figure enfin épuisée de la douleur.
Le feu de décembre brûle l'année
les cendres déjà s'amoncellent.
Tu ranges tes carnets
tu refermes les livres.
Derrière toi, les pas
_tantôt encore si proches —
deviennent méconnaissables, les jours
en ont changé les traits, révélé la lourdeur.
L'horloge sonne minuit — l'amour
un champ d’heures
où trébuche et résiste et tombe et s’'embrase l'histoire de nos pas —, de nouveau :
tu ensemenceras la terre amoindrie.
Le ciel s'embrouille, déjà, rassemble ses ombres
de novembre, promène ses gris cassants.
Des oiseaux hostiles fendent le jour
— et le ciel, et le cœur, ainsi
se murent, et leur appel même
ignore le rivage.
N'effleure-t-il l'aube qu'à peine
pour revenir à sa nuit ?
Alors on pourrait marcher
sans jamais avancer — sans jamais trouver le monde —
on pourrait secouer nos longues ailes effilochées
en regardant l'arbre
dont les feuilles se sont égouttées
on pourrait ne recueillir aucune trace
ne jamais toucher le cœur.