Voilà bien longtemps que je n'avais plus lu
Dostoievski. Et pourtant je me suis immédiatement retrouvé en pays de connaissance.
Le récit est assez terrible. Sous un artifice littéraire qui ne trompe personne, le grand Fiodor raconte sa propre expérience de déportation au bagne en Sibérie. Nous sommes au milieu du 19e siècle (de 1849 à 1854 exactement) et à cette époque les conditions du bagne étaient effroyables. La raison de cette peine est la participation supposée à un complot contre le tsar.
Dostoievski avait 28 ans.
Et il raconte.
Les fers, le marquage au front (auquel il échappe en tant que 'noble'), la nourriture infecte, les 'casernes' (baraquements) où les forçats dormaient côte à côte sur des bas-flancs, le travail forcé, les punitions corporelles qui conduisaient les condamnés aux portes de la mort, le major sadique, les séjours à l'hôpital qui apportent un peu de réconfort malgré les conditions d'hygiène épouvantables, les vols et les querelles incessantes, l'espoir et le désespoir.
Car au milieu de tout cela, Fiodor s'intéresse vraiment à ses co-détenus. Il tâche de connaître leur histoire, de comprendre leurs réactions, de sonder ce qui motive leurs attitudes. Au début, dit-il, il les voyait seulement comme des bêtes fauves, mais il a su découvrir en eux l'humanité recouverte par les déboires de la vie.
Et quel talent de conteur! Malgré le côté repoussant de ce qui est décrit, la lecture n'est jamais désagréable.
Dostoievski semble posséder naturellement cette juste distance qui nous fait percevoir les personnages décrits sans sombrer avec eux dans l'abjection. Cela tient sans doute aussi su style d'écriture du 19e siècle, qui ne pratique pas l'immersion dans les réalités décrites, comme on le fera au 20e.
Je ne dirais pas que ce récit est bouleversant, mais il frappe avant tout par sa recherche d'humanité dans les lieux où elle semblait avoir disparu.
Et peut-être avons-nous là une constante de l'auteur qui se retrouvera dans les grands livres à venir.