Le titre l'annonce clairement : on est ici dans la marche, l'avancée car « le poème ne tient pas en place ». La langue étant départ, on se fait dès les premiers vers « arpenteur du silence », mot qui revient tout au long du recueil comme « une proposition de sens ».
Pas à pas le poète interroge le langage car autour de lui « tout parle / se meut / explique ». Il suffit de rester ouvert aux liens qui unissent les forces, de quitter les bruits du monde pour se mettre à l'écoute des échos fertiles. Ceux du vent, par exemple qui « est une langue », capable de libérer « les mots enfermés ». Mais « quel territoire délimiter » puisque on avance « dans les cordes du néant », dans le rien du silence ? Comment se sentir unifié quand tout est morcellement ? « L'époque n'est plus / à compter les étoiles », il faut faire face au « sourire amer du quotidien / aux dents pugnaces » aux « yeux mornes des passants ». La langue, morcelée elle aussi, essaie de se frayer des passages, elle creuse, elle avance « à la recherche du sens » car la beauté toujours « se toise / avec des yeux neufs / transforme parfois les choses », ouvrant la voie aux émotions, aux sensations qui revivifient. « le possible / cherche un monde ». Il y a tant de trous à combler qui attirent les mots inarticulés.
Attention cependant aux « idées sournoises », tout reste fragile, soi-même en premier. Comment alors continuer à « être l'écho / de quelque chose » ? le poète s'efforce de parler avec « volonté et courage » « le silence des autres », « les mots des autres / les mots manqués ». Sa parole, « adjuvant à l'être », reste « un fil blanc » pour lui qui essaie de dire l'essentiel, le vital, loin des « discours / comme tant d'autres ». Il avance seul « dans le collectif du monde » avec parfois une « main complice », un coin de « toile cirée pour des souvenirs ensoleillés ». « le mot est debout » à ses côtés alors que lui doute à chaque instant, ressent sa défaite, vit son sursis, tiraillé entre soi et les autres « si proches, envahissants ». Il lui faudra « rêver encore / abandonner le paraître / fixer l'étoile », autant dire un long chemin. A jamais inachevé.
Éric Dubois avance dans ce recueil une suite de pas sous forme de distiques écrits dans une langue épurée, souvent lapidaire. Ses fragments, qui semblent autant de cailloux blancs sur le papier, toute trace intermédiaire gommée du parcours, entrent en écho les uns avec les autres dans un grand silence ménagé par de larges interlignes. Cette poésie, d'essence elliptique, se veut souvent aphoristique, tel ce dernier vers : « Il y a toujours un regard attaché à un autre regard / s'il n'est pas brisé ».
Une sagesse se cherche, à chaque séquence, à chaque pas. Réussite ou échec ? « La gloire a les épaules froides ». Qu'importe, puisque le poète l'affirme : « Seule compte la trajectoire. »
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La peau du temps se retourne
La peau du temps se retourne
massée sous les portes
Pierre dans la cohue du lichen
la passion est mouvante
Les formes se complètent
habiles abstractions
Dans le vent les papiers dansent
avec l’outil des mots à la base du nerf
Le pâle éclat du matin se reflète
dans les yeux mornes des passants
Qui vivent dans un hôtel dont
les rêves éclaboussent le sexe du ciel
Il y a dans l'introspection
l'œil du désordre
L'oeil des dérives
Des continents qui se séparent
des abîmes qui se touchent
Le regard aimanté par le sentiment
de la fin proche
Une sorte de mort
Mais aussi un rebond
la vie qui reprend ses droits
de constructeur
Il y a dans l'analyse
des trous des pleins et un peu d'écume
La marge
Des bordures lumineuses
Et ce quelque chose
qui ne s'invente pas
Mais se contient s'isole
Le sourire amer du quotidien
aux dents pugnaces
Le rien dans le tout
dans sa puissance démiurgique
Un dieu qui revient de loin
Tu dormais dans le déjà
les yeux perdus dans le silence
Tu chantais juste ta chanson
la gloire polissait les mots
C'était hier
Aujourd'hui le vent a tout pris
le temps de comprendre
C'est un air entendu un simulacre
la gloire a les épaules roides
Tu marches absent
dans un mouvement de défaite
Il te faudra rêver encore
abandonner le paraître
Fixer l'étoile
L'aimantation du poème
y songer ?
Toutes ses failles
qui semblent courir
Le long d'une existence
qu'on aimerait désinvolte
Mettre un mot
un langage
Une langue à tout cela
Donner de la voix
du ressort
L'universalité
Tous ces trous qui attirent
le dire
Les mots sont les mains
de l'autre
Ses cicatrices
Ils consolident le temps
essaient
Chaque vocable suspendu
aux lèvres du silence
Quand prendre forme
et décliner le prolonge
Saura peut-être
mettre en hauteur
Le signe