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Critique de motspourmots


En ce moment, dans les livres, il me faut plus que des mots, plus qu'une histoire. Il me faut de la complexité, une recherche de sens, quelque chose qui tient de la géométrie dans l'espace plutôt que de la géométrie plane. Des dimensions multiples. Il me faut le grand vertige, la carte du monde que l'auteur semble dessiner à toute vitesse, sur un écran 3D, le voyage dans l'espace-temps entre un puits sans fond et l'infini de la voie lactée. Il porte bien son titre, ce roman qui m'a précipitée dans le vide, m'a aspirée dans la canopée, m'a perdue dans le désert, ballotée de question en question, de sentiment de colère en sensation d'impuissance. M'a parfois donné la nausée. J'en suis sortie un peu sonnée, groggy. Un poil plus désespérée qu'en y entrant. Mais très impressionnée.

Pierre Ducrozet imagine qu'en 2016, les principaux dirigeants du monde ont enfin compris l'urgence d'agir pour le climat et chargent l'un des militants les plus actifs de la pensée écologique, Adam Thobias de créer et diriger une "Commission internationale sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel". Pendant plusieurs mois, il réunit les meilleurs spécialistes dans leur domaine et les envoie aux quatre coins de la planète récolter informations, échantillons, témoignages, idées novatrices... Recueillir une matière phénoménale, l'analyser et imaginer les solutions durables pour changer les modes de vie, épargner les ressources. Utopie ? Pas sûr pense Nathan, persuadé que la solution viendra des plantes et du miracle permanent de la photosynthèse. Passe-temps de riche ? Bof, pourquoi ne pas profiter des voyages se dit June, vingt ans et déjà presque plus d'illusion. Ils sont plusieurs à s'impliquer, à communiquer via le réseau Télémaque et à se persuader qu'ils peuvent changer le monde. Oui, mais le monde veut-il être changé ?

Il y a des pages magnifiques dans ce livre et d'autres d'une noirceur absolue. Il y a le vert infini, nourricier et le noir du pétrole symbole de tous les maux ; le bleu des océans, source de vie et le rouge des incendies et des guerres qui ravagent la planète. Il y a la folie destructrice de l'homme, mise en évidence le temps de quelques pages d'histoire. Là où l'homme passe, le reste trépasse... "Tout le parcours de l'intelligence humaine a été de figer et de saisir depuis l'extérieur des choses, quand il s'agirait d'en faire partie". Mais il y a surtout chez Pierre Ducrozet une façon incroyable d'alterner les rythmes et les tonalités, de jouer sur tous les registres musicaux, de passer de la poésie d'une immersion dans la jungle à la furie de la course au pétrole et du capitalisme.

J'ai retrouvé dans ce roman, l'ambition d'un Richard Powers (L'Arbre-monde), la puissance du propos de Pascal Manoukian dans le Cercle des Hommes (notamment la question de la sédentarité vs le nomadisme) et le questionnement d'auteurs engagés comme Camille Brunel (La guérilla des animaux) sur les moyens à utiliser pour parvenir à ses fins. Mais il y a quelque chose de profondément désenchanté dans le grand vertige, comme si les cyniques avaient déjà gagné la partie, décourageant ainsi les meilleures volontés. A moins que l'auteur n'ait cherché à éveiller les consciences, à provoquer un sursaut ? Mais que peut la littérature, même excellente, face à la puissance des forces destructrices à l'oeuvre ? Vous savez quoi ? Lisez le grand vertige, ce sera peut-être le début du commencement d'autre chose.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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