Oui, cette nuit-là, il s’en est fallu de peu que nous ne succombions devant l’attaque des Otomis. Paradoxalement, nous ne dûmes la vie sauve qu’à l’apparition brutale de l’Oqtal qui, broyant tout sur son passage, ne semblait guère s’embarrasser du choix de ses ennemis. L’Oqtal, c’était donc cela, l’apparition monstrueuse dont les racines donnèrent vie au dieu Txlaka. Ce dieu, dont frère Cristoval, comme pris de fièvre, serrait l’image contre lui. La jeunesse, elle, reprenait déjà espoir. Après tout, nous étions encore et toujours en vie. Toutes les perspectives restaient donc ouvertes. Même celle… des sentiments !
- Qu’en est-il des richesses fabuleuses qui seraient enfouies dans ses palais ? On dit qu’à elles seules, elles peuvent acheter une province espagnole…
- Une province !… Non, l’Espagne entière !
- Alors celui qui posséderaient un tel trésor serait l’ennemi la plus redoutable que doive craindre l’Espagne !
- Notre petit cuistot semble te plaire… Tu as tort… La jeunesse c’est un leurre, de la pâte molle… Crois-moi, rien ne vaut l’expérience d’un homme aguerri, plus mûr.
- Un homme comme toi, j’imagine…
- Eh ! J’ai de l’endurance ! Et puis, je ne m’en cache pas, la petite me plaît. Et je ne vois pas ce qui me retient de lui…
- MOI ! Ce n’est ni le moment, ni le lieu de gaspiller ses forces en des démonstrations viriles qui n’impressionneront personne.
- Est-il possible que cette fuite ait duré tant de jours ? Est-il possible que nous ayons tant souffert… Et que d’épreuves subies… Les chutes d’Hueva qui ont failli nous engloutir. L’embuscade aux abords du village de Quilpa. Les fièvres qui règnent sur les berges du Rio Grijalva. Les feux allumés alors que nous tentions de traverser la cité lacustre d’Athamoc. Jusqu’à cette dernière confrontation où tout a basculé...
- Mon nom est Hernando Royo. Je n’ai pas succombé. J’avais des compagnons. De vaillants compagnons. Il se sont bien battus. Nous avions emporté avec nous quelques pièces précieuses appartenant au trésor des Aztèques. Notre fuit avait été bien préparée mais à un coude du fleuve, alors que nous prenions quelque repos, des Otomis sont sortis de la jungle l’arme au poing… Oui, c’étaient de vaillant compagnons. De vrais soldats. Qui résistent et qui savent se replier si nécessaire !
- En vérité, de vous le prédis : la nuit qui se prépare sera bien triste...
Cortés remporta la victoire sur De Narvaez. Victoire sans concession, nette, fulgurante quant à son exécution. Amère cependant car elle venait d’opposer des Espagnols à des Espagnols.
Pour la première fois de sa vie, Frère Cristoval employa une arme à feu, il tira sans viser vraiment. Et il eut de la chance… beaucoup de chance...
-PARLE! il te reste une chance!
-Pour l'Espagne ma vie donnée, pour l'Espagne ma peine supportée. Que Dieu me prête courage...
Et Txlaka sourit car les Dieux chérissent la douleur des mortels...