On peut trinquer tous ensemble le temps d'un verre. On ne craint rien ni personne, on ne pense qu'à nous. Nous sommes les Indifférents, à la vie, à la mort.
Prologue
Les adolescents sont des adultes en puissance. Incontrôlables et morts de faim.
Un dîner de la haute, c'est comme un petit dîner chez Ploucland, il ne faut pas croire. Les gens parlent d'eux, ne s'écoutent pas, picolent jusqu'à plus soif.
Ce matin, l’un des Indifférents est mort.
Il est mort dans l’eau, sans douleur et tout doucement. Mais je ne peux pas dire son nom. Ma bouche est bâillonnée et mon corps incapable. Si j’en parle, la mort deviendra vraie. Elle prendra forme, et dansera devant nos visages pâles. Les gens pleureront, il y aura des deuils et un cercueil.
Ma bouche se tait pour garder le secret. J’y crois comme une superstition. En me taisant, peut-être que la mort s’excusera.
Peut-être même qu’on s’en sortira.
La noyade, c'est une chute hors du sol. On trébuche au fond de l'eau. Sans plaie. Sans hématome. C'est une mort accidentelle, la noyade. La plupart du temps
L'indifférence, c'est une vague qui va qui vient. Elle fait partie des gènes. Comme la couleur des yeux ou les risques de cancer. Théo, comme son père, est prisonnier du ressac.
Les adolescents sont des adultes en puissance. Incontrôlables et morts de faim.
En bande, ils sont plus forts. Ils cambriolent, font crisser les pneus des bagnoles.
Ils se brisent les cœurs et les mains. Mais ils ont le droit. Ils vivent à l'âge transitoire. Leurs pulsions sont animales. Ils sont à part, incapables d'extraction. Le monde est à eux aussi loin qu'on regarde.
On les laissera faire. On les laissera jouer et tuer. L'adolescence est un passage obligé. Une espèce de souveraineté.
C'est la sombre période de l'indifférence.
Les Indifférents ont mal agi. Ils ont fait quelque chose de grave sur la plage. Quelque chose de punissable.
Mais les vrais responsables, ce sont les parents. La vieille rengaine de l’ascendant. On s’en lasserait presque de cette dérobade.
Dans toutes les histoires, les parents sont les responsables. A l’origine des drames, leur passé, leurs histoires, leurs liaisons, leurs absences, leurs maladies toujours incurables.
Du jour au lendemain, tout bascule. La vie, c'est sans transition, sans sas de décompression. On saute à pieds joints dans les flaques. Parfois il y a le vide au fond.
Les affaires d'abord, l'hostie plus tard.