Si le sociologue avait l'initiative, il ne manquerait pas de trouver partout, dans l'Inde, en Grèce,à Rome, etc., des rites et des mythes agraires, par
exemple, ou pastoraux. Ces rites existent et ils sont sûrement en un certain sens comparables, ayant le même objet et souvent des formes voisines. Mais ils existent aussi, hors du monde indo-européen,chez tous les peuples dont le niveau culturel et les conditions de vie sont équivalents. Et ils existeraient sans nul doute avec les mêmes analogies dans l'Inde, en Grèce, à Rome, etc., même si ces pays étaient occupés par des peuples sans passé
commun, même s'il n'y avait pas eu une « préhistoire indo-européenne » commune; et il est possible que ces rites agraires ou pastoraux ne proviennent à aucun degré appréciable de cette préhistoire,qu'ils soient simplement de vieux rites indigènes adoptés par les conquérants et substitués par eux aux rites, différents dans le détail mais de même
type et de même destination, qu'ils pratiquaient avant leur dispersion et avant leur installation dans l'Inde, en Grèce; à Rome, etc.
L'éloge est un des ressorts principaux du culte védique et domine les 'rapports des hommes et des dieux, les auteurs des hymnes et les officiants ayant conscience, par leurs panégyriques rituels, de « faire croître » Indra, ou Agni,ou tel autre protecteur, et de le rendre apte au service qu'ils lui demandent. Les allusions que fait aux mythes le Rg-Veda attestent plus d'une fois l'existence, entre dieux, de la même technique;on ne peut séparer par exemple l'épisode du Mahâbhârata cité plus haut des stances où l'on voit, où l'on entrevoit plutôt, Indra engagé dans une dure bataille et non pas aidé matériellement mais fortifié magiquement par la troupe des Marut « Ils firent croître Indra par la louange ».
Malheureusement, dans presque tous les cas connus jusqu'à présent, surgit ici une complication facile à prévoir n'ayant pas d'étymologie claire, ne s'appuyant pas sur toute une famille de mots « laïques », et d'autre part exposé aux scrupules,aux tabous comme tous les termes religieux,un mot du type ainsi défini risque d'avoir subi des déformations imprévues qui, sans le défigurer,l'ont altéré, et, quand on compare ses héritiers possibles dans les diverses langues attestées historiquement,on constate bien un air de parenté,mais on n'obtient pas cet incontestable brevet de filiation que seule constitue la minutieuse observation des « lois phonétiques ».
Naturellement, il est rare que ce schéma s'applique aussi simplement: Les difficultés résultent de diverses causes: Par exemple il faut mettre à part une nombreuse sérié de cas qui à première Vue, semblent remplir au mieux la condition linguistique requise et où pourtant reste entière l'incertitude,
l'indétermination du sociologue ce sont les cas où un phénomène, un élément sont divinisés sous leur nom courant terre, feu, vent, eau, aurore,etc.
De l'abondance et de la généralité des faits de ce type on peut conclure statistiquement que les Indo-Européens, comme beaucoup de peuples, animaient volontiers et divinisaient ces notions.
De tout cet ensemble de traits anciens et récents, mythiques et rituels, il ressort que le roi, grand payeur, est aussi, en contrepartie, grand receveur. Il n'enrichit ses sujets que parce qu'il possède toute chose en droit et, en fait, prélève partout selon son gré.
Pour parler moderne, l'État ne finance les services publics que par les impôts qu'il encaisse.
Georges Dumézil - La tripartition indo-européenne