Chez vous, les nains, l'effondrement d'une galerie de mine, c'est ce qu'il y a de plus proche d'un contrôle de population.
Nous connaissons de nombreuses façons de mesurer notre âge. Les trolls sauvages des montagnes se basent sur la fonte des glaciers. Chacun a le sien, dont il hérite du nom. Quand un glacier disparaît, le troll est considéré comme adulte et reçoit un cadeau de sa moraine.
Vous qui entrez ici,
Laissez toute espérance
Ainsi que vos affaires personnelles
Au vestiaire
Pourboire hautement recommandé.
Je ne crois pas au mal, dis-je en attaquant les marches. J'ai rarement rencontré des gens animés de la volonté de nuire. Mais je me méfie de l'enthousiasme, du désir d'améliorer le monde. De l'aveuglement des bonnes volontés. Prends les humains...
— Je vous le dis, chef, le vide, c’est la richesse de l’avenir. J’ai travaillé avec des gobelins financiers. D’après eux, on peut même vendre les trous avant qu’ils soient excavés et jouer sur les fluctuations des indices locaux. Ça s’appelle un schéma pyramidal. Le marché progressera tant qu’il restera un endroit où creuser.
Pour nous les trolls, la recherche de cailloux c’est comme la cueillette des champignons pour les humains. Sauf que les rochers poussent moins vite.
— C'est toi qui choisi l'histoire dans laquelle tu vis, Cédric. Et c'est surtout toi qui décides comment la raconter.
— Mon rapport de stage ?
— Par exemple. Les épopées, les drames ne sont que des conventions, des façons de décrire ce qui ne s'est peut-être jamais produit. Ce qui compte, ce sont les traces que l'on laisse, les paperasses et le respect des procédures. L'épopée n'existe que si on compose des chants pour la narrer, et l'aboutissement d'une quête, c'est la note de frais.
- J'ai eu une idée, chef !
- Ce n'est pas ton boulot.
- J'ai pas pu m'en empêcher, chef.
Nous, les trolls, on a des affinités avec les pierres précieuses. Ca nous donne faim, alors on les repère de loin, à travers n'importe quelle épaisseur de roche. Ensuite, il ne reste plus qu'à exploiter le filon. A l'époque où je me relevais la nuit pour grignoter, on a failli exploser les quotas. Depuis je garde un petit tas de diamants bruts à côté de mon lit, pour calmer mes fringales.
— Je pourrai conduire ?
Sheldon a les yeux aussi brillants que sa tablette. Ce type est décidément bizarre.
— Grandis un peu !
— Vous n’avez pas à dire ça, s’indigne-t-il. Il n’y a rien d’infantile à vouloir expérimenter tous les aspects d’une situation ludique lorsqu’elle se présente.
Je donne un léger coup de reins pour passer l’aiguillage suivant. Un des rails se brise derrière nous dans un vacarme de fin du monde. Les débris de métal rebondissent le long de la paroi et fondent au contact du magma en projetant des jets d’escarbilles brûlantes.
— Grandis un peu, ça veut dire qu’il te manque quelques kilos pour être capable de piloter ce modèle de wagon, expliqué-je patiemment. Une demi-tonne, à vue de nez. Tu as fini ta croissance ?
Il hoche la tête, l’air déçu. Sa tablette crache une dernière lueur puis s’éteint.
— Si tu veux, je te laisserai t’occuper de l’arrivée, dis-je pour le consoler. Accroche-toi !