L'instinct du troll

Je leur laisse encore deux minutes, le temps de renifler un brin à la recherche d’un truc à grignoter. Je ne trouve rien, le secteur a été creusé et recreusé, chaque débris tamisé au moins trois fois. Il faudrait laisser s’écouler une ère géologique ou deux pour que de nouveaux diamants se reforment dans le coin et, franchement, j’ai trop faim pour attendre.
Je suis donc un rien de mauvaise humeur au moment d’affronter la surface. En plus, je n’aime pas le lointain Orient. Là-bas, les gens portent de longs vêtements sans poches, ce qui les oblige à enrouler leur mouchoir sur leur tête. Mais, à part ce détail, ce sont des humains ordinaires : imbus d’eux-mêmes, puants et pas du tout comestibles.

— Je suis en train de les organiser en coopérative, avec une structure adaptée. D’après les documents que j’ai récupérés aux Archives, les humains ont un modèle pour ça : ça s’appelle le communisme et ça ne marche que si ça repose sur du vide.

— Je n’ai jamais su comment vous vous appelez.
— Ce n’est pas grave, dis-je. Moi je le sais. Et vous n’avez pas fini d’entendre parler de moi.

Au bout de son bras tendu, un sceptre brille d'un éclat malsain. Une larme d'énergie noire suinte à son extrémité, ornée de malédictions qui se tordent comme des serpents quand on les regarde de près.
— J'étais sûr de te l'avoir confisqué la dernière fois, dis-je, tandis que Cédric se réfugie derrière moi.
— Ils m'en ont confié un autre. C'est le nouveau modèle, rechargeable. Et tu vas subir sa puissance de plein fouet.
— Ça va chatouiller ?
— Horriblement, se délecte-t-il.

– J’ai eu une idée, chef !
– Ce n’est pas ton boulot.

- Ouais, bon, en attendant, je vais préparer mon voyage. Les marais de la Mort sinueuse en période rouge, tu imagines le bordel ? Et ce n'est pas tout ...
Au souvenir de la malédiction qui m'attend, j'ai l'impression que mon visage se fendille de partout.
- Il t'a rétrogradé ?
- Pire. (Je secoue la tête avec accablement.) Il m'a collé un stagiaire.

- Je voudrais juste parler au patron pour régler une petite affaire qui date d'il y a quelques mois.
- Il y a quelques mois, c'était une autre auberge. Elle a brûlé de fond en comble et il y a eu comme qui dirait un changement de propriétaire. Ça arrive en cas de mort violente.

Cédric nous regarde. Je vois les rouages qui s'agitent derrière ses yeux. Les humains font ça en permanence, ça s'appelle réfléchir. Je n'ai pas encore compris à quoi ça leur sert.

Le désordre nuit à la productivité. Sauf chez les nains où ça l'augmente.

On peut lui reprocher plein de choses,à ce petit, mais pas de manquer de courage. Ou alors il est trop bête pour avoir peur de moi.