Je le revois ce 23 août, s’emparant de l’objet oublié (un briquet ? un coupe-cigare ? ), impassible derrière son monocle noir. Pressent-il qu’il ne lui reste alors qu’un peu plus de trois semaines à vivre ? Qu’en dépit des compliments de sa femme et des honneurs multiples qui l’accompagnent il peut être frappé au dépourvu ? Dans les derniers temps de notre vie, la mort nous souffle-t-elle au visage une haleine qu’on ne saurait confondre avec aucune autre ? Ou bien nous murmure-t-elle à l’oreille des mots qui nous glacent le coeur ? Je me le demande.
Nous croyons aveuglément en la parole de nos parents, et plus tard nous la reprenons à notre compte pour la transmettre à nos enfants.Pourquoi est-il si difficile d'aller contre cette parole, de s'éveiller au doute, puis petit à petit à la conscience d'une " vérité " différente ?
( p.286)
Papa avait le goût de l'exagération, de l'emphase, et comme pour s'en punir il avait épousé maman, son contraire. Elle l'empêchait de s'envoler, et lui l'empêchait de se noyer, ils s'étaient bien trouvés finalement.
( p.230)
P72 :-Ecririez-vous si vous n'étiez pas juif dans ce pays qui vous menace ?......
-Je suppose que oui, avait-il rétorqué en me fixant derrière les volutes de fumée. J'envie les gens qui se trouvent en harmonie avec ce que la vie nous offre. Moi, je suis un mauvais vivant, j'ai besoin de m'accrocher aux souvenirs, à ce que la vie nous enlève, à ce que nous perdons irrémédiablement, pour me montrer des raisons d'exister. Sans l'écriture qui m'enchaîne aux miens et m'enracine là même où ils ont vécu, je me demanderais chaque matin ce que je fais içi."
La famille avait été emmenée, la foule avait suivi et je m'étais laissé volontairement distancer. Qu'est-ce qu'ils supposaient donc ? Que le père et le fils attendaient les avions et les avaient guidés avec des flambeaux pour que le pétrole, si nécessaire à nos armées, soit détruit?
Mais comment auraient-ils pu les guidés sans être vus, en plein couvre feu, alors que la police était partout présente et qu'elle avait reçu l'ordre de tirer sur les fenêtres qui laissaient filtrer la moindre lumières ? C'était idiot. Ce n'était encore qu'un nouveau prétexte pour jeter la suspicion sur le juifs.
Certes, nous savions que depuis 1919 tous ces juifs étaient officiellement roumains, comme notre père l'avait rappelé, mais nous savions aussi que la Roumanie avait dû prendre la décision de les naturaliser sous la pression de la France, sa grande amie, son alliée dans la victoire de 1918 contre l'Allemagne, et qu'en vérité ce n'était le souhait ni de nos dirigeants ni de la majorité du peuple roumain.