À chaque livre, j’ai le sentiment de jouer toute ma vie. (page 374)
Nous cherchons tous les deux comment nous distraire de l’agence et c’est en observant le député du Nord trembler devant Henri Pollet, le patron de La Redoute, que nous vient cette idée de livre – contrairement à ce qu’on imagine, ce ne sont pas les élus qui ont le pouvoir en France mais les grands patrons qui obtiennent ce qu’ils veulent des députés et des maires parce qu’ils font vivre toute la région. (page 157)
Finalement, ce qui m'aura le plus troublé en séjournant dans la guerre fût de constater avec quelle facilité on glisse de l'état d'homme civilisé à celui de bourreau. Le général Mladic allait prendre sa retraite quand la guerre a éclaté, il aimait sa femme, chérissait ses deux enfants et ses abeilles, n'avait jamais frappé personne, et cependant il va devenir l'homme qui donnera l'ordre de bombarder un samedi matin le marché de Markale, sachant que s'y trouvent à ce moment-là que des femmes et des enfants et commettant ainsi le plus épouvantable des massacres.Il en est allé de même pour Hans Frank, avocat, mélomane, pianiste de talent, père de famille attentionné, que tant de raffinement et de culture n'ont pas empêché d'adhérer avec enthousiasme à l'extermination des Juifs aussi bien à Auschwitz que dans les ghettos, l'un et l'autre placés sous son autorité. Sommes-nous tous susceptibles de devenir des bourreaux ?
( p.275)
Il [le père ] est là mais il n'est pas là, comme "empêché" par l'autorité de sa femme, par le verbe de sa femme. Je grandis sous cet ordre, mais comment savoir si j'en suis choqué alors que je n'ai aucun autre modèle à ma disposition ? (p. 18)
Si je ne suis pas à la hauteur du livre que j'imagine, je ne m'en remettrai pas, je le sais.Peu importe que ce soit le dix-septième ou le dix-huitième, à chaque nouveau roman je me sens aussi petit et démuni qu'avant de me mettre à écrire la première version de " Priez pour nous ", quarante ans plus tôt. À chaque livre, j'ai le sentiment de jouer toute ma vie.
(p.374)
Frédéric m'a précédé à la faculté de droit, au contraire de moi la discipline le passionne, j'entends qu'il commence à expliquer la société et le monde à la lumière du droit, mais curieusement je ne vois pas sur le moment que cet engouement pour la loi vient combler chez lui l'angoisse d'être issu d'une famille de hors-la-loi, futur hors-la-loi lui-même s'il n'y prend pas garde. Ce qu'il fait- il va devenir un grand juriste et dire le droit comme d'autres la messe. (p. 84)
J'ai appris à me taire.Je ne doute pas de l'aimer à ma façon, mais je dois d'abord veiller à écrire, à être toujours dans un livre, car sinon je sens le désir de vivre me quitter, et comment aimer qui que ce soit sans le désir de vivre ?
( p.369)
Tout ici nous rappelle combien vivre ne peut être qu’un acte de résistance.
(p. 291)
Toto [le Père ] redécouvrant ses livres, c'est un bouleversement dans mon esprit. Je ne soupçonnais pas qu'il pût en posséder, les aimer, jamais encore je ne l'avais surpris en train de lire, et soudain ce sont des dizaines, des centaines de livres qu'il reconnaît, dépoussière et caresse. Un Toto que j'ignorais s'incarne en quelques heures sous mes yeux, surgit des limbes, d'un temps où je n'existais pas. (p. 68)
Et que devient Toto ? [Le Père ] Mon regard sur lui a profondément changé. De domestique passe-muraille il est devenu le héros de ma vie. (p. 31)