Le remords de n'avoir pas réussi à surmonter ma peur de la vieillesse et de dégoût qu'elle m'inspirait, le remords de ne pas avoir été capable de prendre la main décharnée de ma mère qui sentait parfois la merde, parce que même les maisons médicalisées haut de gamme manquaient cruellement d'effectif en France, ce remords-là ne me lâchait plus.
Alice réfléchissait à sa vie. Les yeux fermés, elle devinait les skieurs qui sortaient par groupes de la télécabine et chaussaient leurs skis sur le plat situé à une dizaine de mètres. Elle entendait un premier puis un deuxième claquement sec, suivis du doux glissement des skis sur la neige. Elle imaginait la lame fendant la poudreuse scintillante et les corps prenant leur élan. Puis le silence s'installait à nouveau jusqu'à l'arrivée du téléphérique suivant.
Cette opération [prostate] me fit réaliser que tout ce qui affecte la virilité est tabou. La société parle volontiers des troubles de la ménopause ou des conséquences psychologiques de l'ablation d'un sein, mais elle n'évoque jamais la souffrance et la solitude des hommes blessés au plus profond de leur chair et de leur masculinité. Nous étions pourtant nombreux à subir cette opération — près de 30 000 par an en France —, avec parfois des effets dévastateurs sur notre sexualité. L'omerta était totale.
Celle qu'on n'oublie pas et qui ne vieillit pas. Celle pour qui on éprouve une indulgence et une reconnaissance presque aussi grandes que pour une mère, car cette femme-là aussi fait naître en vous l'adulte que vous serez.
Ma première fois s'appelait Madeleine.
Je suis mort une fois et une fois j'ai survécu. Et puis à ma seconde mort, j'ai ressuscité. Je veux dire que je suis vraiment devenu un autre.