VII.
boue
ou un corps seul
laissé là
battant lent
remuant sa terre respirant
verte et jaune autour la lumière
dans les arbres
et le soir
avec la mer plus loin le vent
dans les arbres plus loin le ciel
selon les branches mouvantes
autour
on pourrait vivre
un bon moment
sauf le bruit des cris
puis tout s'éteint s'efface
brusque
au cœur
la boue
banlieue du corps cette zone
où tout peu arriver
jusqu'à la peau
au-delà
si personne ne bouge
c'est calme ou pas
on n'en sait rien
c'est
hors
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X
On pourrait croire arriver quelque part, à distance des bavardages comme des mensonges, assez loin après avoir laissé le paquet de paroles, et ne plus voir devant sauf cette espèce d’espace qui bouge dans un reste de mots.
C’est seulement un terrain qui monte, une couche de terre entre la page et les lignes, une épaisseur de sable, assez pour se nicher, s’abriter là.
On entrevoit cela au bord : et tout autour de l’œil, une zone floue trouble, une nuit de pluie.
Plus au centre, le vent va ouvrant des paysages, d’autres ou les mêmes de mémoire, ils s’enchevêtrent, on ne suit plus, le vent continue, on presque dort.
I.
Boue. À chaque pas, on s'extrait. On marche un temps
jusqu'à tomber là, dans ce qui épouse et moule juste le
corps. Entre terre et tête la limite s'efface, on dort. Et
de nouveau, le lendemain, on part.
On va, tente d'aller. Difficile de trancher : on se dé-
place dans le même. On a bougé, c'est sûr, dans le
même. Après des jours, on se dit : autant rester là.
Pays sans traces. La boue prend l'empreinte mais assez
vite l'efface : tout redevient égal. Une terre sans relief,
avec parfois des changements de couleurs, lents, si peu
sensibles qu'ils ne permettent pas de repères. Les tran-
sitions sont longues : parvenu à une zone de couleur
franche, on ne voit plus qu'elle. L'œil a viré, pris cette
couleur, ne se souvient plus.
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IV
Du brouillard tombe, un coton sale bourre les mots.
Peur de ne plus se retrouver. Ne plus pouvoir sortir,
rester englué.
Avant la peur, l’épais. On tente de respirer, manier.
Ensuite seulement, de l’étouffement, monte la peur
ou un passage d’oiseaux sales, ou des chiens.
Sans prise, on dit terre pour ce qui commence au bout
de la langue, quand les mots manquent.
On va contre une sorte de falaise molle : en passant,
pour finir, on laisse derrière une terre en désordre,
ouverte, retournée, sans y croire.
poser encore
quelque chose comme un ciel
ou un linoléum
quelque chose comme bleu
bleu débandé
et bleu encore ensuite après
sans pouvoir en finir
l'important n'est pas d'être là
on le saurait
mais d'être encore pourtant
là
sans être sûr
Des feuilles presque jaunes dans la lumière : le vert rend
du jaune. Un soir tout à fait calme, semble-t-il.
Des paroles d'autres bouches coupent dans la lumière,
passent par son silence, s'appuient sur lui.
le calme à nouveau
dans les feuilles sans vent presque
du soir tombe
en désordre
au bout
la lumière finit par égaliser
tasser assez pour serrer d'un bloc
la vie les feuilles
On en profite, on glisse, on file autant que faire se peut ;
quelques mots suffisent, en pente, jusqu'à la mer.
Certains soirs
il n'y a plus de nœuds
on est entier
ou corps abandonné lâché dérivant lent
bois flotté sans plus d'énergie
rien corps largué dans la pluie des feuilles
et l'odeur de ce qui s'efface
dérivé plus loin parti sans vouloir
seulement porté plus loin
la boue la mer plus loin
et au bout du corps
un temps mort
puis des choses se recomposent
brusques violentes
comme des visages
à la lisière de l'œil