"Plaie" appuie, nomme, appuie encore, nomme encore.
Comme un Beckett en poésie, qui essaye encore, pour rater mieux, rater de se lécher, rater de se consoler. Mais voilà où Emaz ouvre, dans ces mots, léchés, consolants, obstinés à vivre, à se tenir debout.
Une oeuvre essentielle de la poésie contemporaine.
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PLAIE, XV
Extrait 2
se débrouiller
de soi
par soi
autant commencer
tout de suite
réapprendre le simple
le naturel
c’est bizarre
toucher une peau
regarder dans les yeux
sans peur
on revient
à la rame
d’un pays seul
p.120
XXIV
...
écrire
ne soigne
ni n'avive
accompagne seulement
même seul
on est toujours avec
les mots tendus comme main
pas davantage
pas moins
ne pas mettre toutes les forces
dans résister au pire
quand il est passé
restent ses résonances ricochets
contrecoups
cela demeure à traverser
en corps
on peut refaire des forces
entre deux rounds
mais sans rêver
quand les répliques se suivent trop vite
on ne refait entre deux vagues
que ce qu'il faut pour passer la suivante
p.184-185
les heures passent
à la manivelle
au hachoir
on les force à passer
sans rien faire
l'horloge resterait bloquée
avec ses poids
au bout de leurs cordes
et le gros balancier de cuivre
immobile
arrêté
ce jour-là
ce lieu mental
attire
dès qu'on s'en approche
comment
désactiver
on pourrait partir loin
cela ne changerait rien
il faut remettre en état
la tête
absorber
le choc
ensuite seulement on pourra voir peut-être
s'il y a du ciel plus bleu et pas d'hiver
ailleurs
IV
…
à force de mots
mis pour boucher la bouche
la plaie
se tait
une plainte
sourde
muette
dessous
et ça
on n'arrive pas à faire cesser
la nuit
rien à penser là
les mots tournent
autour
c'est tout
on les voit tourner
tenter de toucher
s'écarter dès que
refaire une orbite
à nouveau tenter
on les voit
comme des mouches
p.44-45
IV
…
même quand on ne parle pas
on n'est pas à l'abri
alors
autant dire ce qu'on peut
au moins les mots sont au travail
on les entends s'affairer
recoudre la nuit
faire leur besogne de nains
dans la tête
p.48