Davide et son père regardent
L Histoire se dérouler sous leurs yeux, dans l'immensité de la Méditerranée, à Lampedusa. Pendant plus de trois ans l'écrivain s'est fait le témoin des vagues successives de rafiots bondés de migrants en détresse. Ils viennent de la corne de l'Afrique. Ils ont bravé la peur, le soleil implacable du désert, les passeurs sans foi ni loi pour fuir. Fuir la pauvreté, la famine, le chômage, la corruption. Souvent détenus en Lybie, avec toute la violence qui en découle, ils cheminent vers l'Europe avec l'espoir vissé au corps, la promesse d'un avenir plus doux. Ils n'ont ni identité, ni âge, ni nationalité. Dépouillés de leur histoire personnelle, ce sont des hommes affaiblis et moribonds qui s'échouent sur les plages de sable blanc de cette petite île perdue entre l'Europe et l'Afrique. L'Europe, c'est l'espoir d'une nouvelle vie, d'une renaissance. Ils sont alors prêts à braver tous les dangers.
La Loi de la mer est une ode à l'amour, à la vie. Dans ce récit s'entremêlent la fragilité et la force de tout être humain. Grâce aux nombreux témoignages d'habitants, de secouristes, d'exilés et de survivants,
Davide Enia donne toute la mesure de l'urgence de la réalité. Sans jamais tomber dans le pathos, il décrit avec précision la violence qui accompagne chaque migrant. Et pourtant, ce sujet s'avère très épineux car il évoque ici en majorité, les migrants économiques (Niger, Cameroun, Erythrée, Soudan, Somalie, Maroc, Tunisie, Népal). C'est en cela que les témoignages sont indispensables.
Tout en restant factuel, l'auteur parvient efficacement à dépeindre les sentiments contradictoires des habitants de Lampedusa. Lors des premiers débarquements, certains îliens se sont laissés submerger par leur atavisme de protection pour ensuite laisser parler leur coeur et secourir ces hommes, ces femmes, ces enfants du bout du monde.
Et pourtant, quelle honte y-a-t-il d'avoir ces deux réflexes opposés, l'instinct de protection et l'instinct de porter secours? Même contradictoires, ces deux sentiments sont humains. Pouvons-nous blâmer les habitants de vouloir se protéger de l'inconnu, de vouloir protéger leurs conditions de vie? En aucune manière… Et dans ce récit,
Davide Enia met en exergue l'humanité que chacun porte en lui, sans jugement, partialité ou prosélytisme.
Pour autant, j'entends déjà des voix qui chercheraient à y apporter un discours politique, à critiquer le besoin impérieux de ces migrants économiques ou climatiques à quitter leur pays… le plus grand danger serait de se laisser aller à se poser la question à savoir quel serait le degré d'empathie pour un migrant économique et celui pour un réfugié politique? Il semble donc impératif de répéter que ce récit n'a pas pour but d'apporter un regard idéologique, bien au contraire. le lecteur qui cherchera des solutions pour enrayer ou assimiler ces flux migratoires n'en trouvera aucune. Ce n'est pas une histoire de politique, d'économie. C'est une histoire d'Homme (oui, avec un grand H).
L'auteur se fait le porte-parole de tous ces gens qui respectent
la Loi de la mer. Cette loi, tacite et séculaire, qui impose de porter secours à toute personne en danger de mort.
Cependant, en refermant la dernière page du livre, un sentiment de malaise nous envahit. Lampedusa et ses habitants, livrés à eux-mêmes… Qui se soucie réellement des problèmes rencontrés par les habitants? Des flots incessants de journalistes déferlent sur les plages lors des débarquements, encore plus depuis ce tragique 3 octobre 2013 où 366 migrants africains ont trouvé la mort. Les habitants vivent quotidiennement avec le souvenir de ces corps repêchés et gonflés comme des éponges, de ces cercueils alignés… L'ampleur de ce drame a provoqué un immense coup de tonnerre dans la bulle médiatique mais, in fine, rien ne change. Une quinzaine de jours plus tard, c'était 700 personnes qui allaient être secourus au large de l'île… Mais les lampedusiens continuent, envers et contre tout à sauver des vies, à apporter de l'eau, de la nourriture, des vêtements chauds. Ils continuent car, à bien y réfléchir, ont-ils d'autres choix? Leur générosité, leur bonté et leur altruisme font briller à nouveau l'étoile de l'espoir, font renaître ce sentiment profond d'appartenance à la race humaine.
De leurs témoignages, tous aussi poignants les uns que les autres,
Davide Enia en a fait une ode à l'amour, à l'humanité, à l'entraide. Il s'évertue à rendre publics leurs paroles, leurs doutes, leurs failles, leurs blessures, leurs traumatismes. Alors, confortablement installé dans son fauteuil, le lecteur ne pourra que se laisser envahir par son humanité, quelles que soient ses opinions politiques, car
la Loi de la mer se fiche pas mal des couleurs, des frontières, des difficultés économiques, des guerres, des religions.
Un récit poignant, tragique, profondément humain et écrit avec la plus grande des sensibilités qui mérite amplement le prestigieux prix Mondello qui lui a été décerné.
Je remercie sincèrement Masse Critique et les éditions Albin Michel pour leur envoi à titre gracieux.
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