Marjorie Finnegan - Temporal Criminal, tome 1

Comédie enlevée et intelligente
-
Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il regroupe les huit épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Goran Sudžuka, mis en couleurs Miroslav Mrva. Les couvertures ont été réalisées par Andy Clarke. Les couvertures variantes ont été réalisées par Frank Cho, Dan Panosian, Mike Deodato junior, Johnny Desjardins, BUZZ, Damian Scott, Tula Lotay, Glenn Fabry, Elias Chatzoudis. Il y a également une introduction de deux pages (mais placée à la fin) rédigée par Garth Ennis.

En Égypte antique, lors de la cérémonie funèbre pour l'enterrement de Ramsès, le prêtre prononce les paroles du rite, devant une grande assemblée au sein de la pyramide au pied du sphinx. Toutes les richesses de pharaon sont apportées par des esclaves : bijoux, or. Elles sont destinées à être enterrées avec le monarque, ainsi que ses belles esclaves, et les hommes aussi. Parmi les personnes bien alignées, une esclave lève la main et interrompt le prêtre en lui demandant de répéter car elle n'est pas d'accord. le prêtre s'emporte contre elle, lui demandant comme une telle esclave se permet d'intervenir. Elle répond qu'il n'était pas question de les égorger d'une oreille à l'autre, mais de simplement les emmurer au sein de la pyramide avec pharaon, et qu'elles suffoquent lentement. le prêtre qualifie ces propos de blasphème et ordonne aux gardes de la tuer sur le champ. Un premier vise la tête avec son épée, mais ne parvient qu'à retirer la perruque brune, révélant une chevelure blonde. Marjorie Finnegan sort son fusil à canon scié de calibre douze, et elle tire dans le tas. Ailleurs et à une autre époque, un drakkar de vikings approche de la côte et s'apprête à piller un village côtier. Les habitants ont repéré le navire, et les hommes prennent leurs jambes à leur cou, laissant leur femme derrière pour se faire violer, et qu'ils aient ainsi le temps de fuir. Les murs en bois d'une hutte tombent au sol, révélant la présence d'un canon de la seconde guerre mondiale. L'officier nazi ordonne de tirer pour couler le navire, et c'est ce qui se produit. Son contentement est de courte durée car Harri Finnegan, shérif du temps, vient d'arriver.

Dans la pyramide, le combat continue de faire rage, Marjorie tirant sur ses assaillants qui ne disposent que d'armes blanches, tout en pensant aux lois du temps, en particulier à celle qui fait que le petit appareil qu'elle porte attaché à la cuisse gauche réarrange les conséquences de ses actes. Elle n'a pas à craindre de tuer quelqu'un dont la descendance aurait été essentielle dans l'Histoire de l'humanité, car le Deus Exer réajuste L Histoire en conséquence et en instantané. Il n'y a ainsi aucune crainte à avoir qu'une anomalie fasse que l'espèce dominante devienne les baleines. Il y a bien sûr une limite aux capacités du réaligneur K-2001 : il ne faut pas qu'il s'agisse de la mort de plusieurs dizaines de personnes. Enfin, le temps est venu pour Marjorie que Timbo la transporte à une autre époque dans un autre lieu. de son côté, Harri s'est occupé d'un agresseur trop enthousiaste, de manière définitive, et elle a arrêté le nazi en lui tirant dans les joyeuses. Elle aussi procède au saut qui va la ramener à son époque. de son côté, Marjorie est revenue dans sa base flottant dans le flux du temps. Elle a pris une douche, et elle esquisse des pas de danse en serviette de bain devant Timbo, un homme réduit à une tête sans corps. À leur insu, ils sont observés par deux individus, par caméra mouchard interposée.

Garth Ennis est un auteur qui a acquis sa renommée avec Preacher pour DC Comics, puis deux séries successives de Punisher pour Marvel. La première sous le label Marvel Knights, mariant violence et humour très noir, la seconde sous le label MAX pour une ambiance plus réaliste et plus noire. Par la suite, il a acquis une notoriété plus grande avec l'adaptation télé de sa série The Boys. En parallèle, il a écrit plusieurs séries de guerre comme Battlefields et War Stories, très documentées et poignantes sur le sort des soldats. Il revient ici dans un autre registre, celui de la franche comédie sur fonds de science-fiction. le principe est simple : Marjorie Finnegan est une voleuse venant du futur, et se servant d'une technologie lui permettant de voyager dans le temps et l'espace à sa guise, et d'effacer les conséquences de ses larcins. Elle n'hésite pas à assassiner les individus qui se mettent en travers de sa route. C'est une très belle femme, prenant la vie du bon côté, ne se souciant pas de grand-chose. En face d'elle, se trouve Harri, officier de police, avec un bandeau sur l'oeil gauche, chargée de traquer et de neutraliser les individus abusant de la technologie de voyage dans le temps, pour leur profit personnel. Seulement deux individus particulièrement dangereux parviennent à récupérer un artefact d'une importance telle que sa modification va impacter l'Histoire de l'humanité.

Dès le début, le lecteur sent bien que le ton est à la farce. Sur la première page, l'une des esclaves (Marjorie déguisée) fait une grimace digne des plus belles dessinées par Amanda Conner, et la longueur des pattes du Sphynx ne correspondent pas à la réalité. Il ne faut donc pas attendre des reconstitutions historiques soignées, car il s'agit plutôt d'évocation pour rire. L'artiste reprend des éléments historiquement exacts et ajoute des éléments de son cru. Les accoutrements des Égyptiens semblent plausibles, en revanche les volumes de l'intérieur de la pyramide du plateau de Gizeh ne sont pas à prendre pour argent comptant, ni réalisés à partir d'un plan d'architecte. L'évocation d'un village attaqué par les vikings est tout aussi légère. Par la suite, le lecteur apprécie donc des évocations parlantes, sans s'attacher à la véracité historique de ce qui est montré. Il prend grand plaisir à ces passages éclairs dans une autre époque, car les auteurs se montrent facétieux dans leur choix : au pied de la croix sur le mont Golgotha, en train de conduire la voiture dans lequel se trouve JFK dont la cervelle s'écoule de sa blessure, dans une orgie romaine, ou encore dans le futur. L'artiste représente les éléments de chaque scène avec un bon niveau de détails, dans une approche descriptive et réaliste, ce qui permet au lecteur de reconnaître chaque lieu et chaque époque au premier coup d'oeil et de s'y projeter avec le sourire sur la manière dont Marjorie y apporte un grain de folie, ou désacralise le moment avec une provocation politiquement incorrecte. le trait se fait un peu plus rapide dans les derniers épisodes, parfois très juste, quelques fois manquant un peu de finesse dans l'expression des visages.

Les auteurs opposent donc le caractère sérieux et professionnel de Harri, au comportement enfantin, fofolle et irresponsable de Marjorie. le lecteur sourit bien volontiers à son entrain immature : jouer cruellement avec la libido de Timbo, laisser une déjection sur le toupet du quarante-cinquième président des États-Unis, planter une flèche dans l'oeil de sa soeur, etc. Ils jouent dans plusieurs registres d'humour, souvent adulte, avec une partie en dessous de la ceinture, et une partie bien noire fonctionnant sur la transgression de valeurs morales, comme prendre du plaisir à massacrer des êtres humains, sans aucun remord. Contre son gré, le lecteur prend Marjorie en sympathie pour son insouciance et sa joie de vivre, malgré son irresponsabilité et sa cruauté (mais avec le sourire). Elle se conduit effectivement sciemment en criminel, en tout connaissance des choses, sans jamais envisage une autre manière d'être. le récit est donc foncièrement immoral. le lecteur en vient à admirer encore plus le personnage principal quand elle fait preuve d'un soupçon d'amitié ou de toute autre émotion positive, ce qu'il ne trouverait que tout à fait normal et la moindre des choses chez un héros traditionnel. Il se trouve emporté par un ton joyeux et politiquement incorrect, foncièrement incompatible avec toute forme de morale.

Bien évidemment, cette vie d'insouciance et de rapine finit par se heurter au principe de réalité, de même que la vie de policière se heurte au même principe. le jeu du gendarme et du voleur entre les deux soeurs évolue vers une autre dynamique, les obligeant à collaborer. Dans le même temps, le lecteur découvre la réalité de l'objectif du seigneur du Mal. Cela donne l'occasion au scénariste de lancer des piques bien senties à une forme de bien-pensance. D'un côté, Ennis retombe dans son travers de dialogues un peu volumineux. de l'autre côté, il a gagné en finesse dans ses piques. Alors qu'il se montrait très pertinent dans ce domaine avec l'épilogue de The Boys The Boys : Chère Becky (2020, avec Russ Braun) mais encore assez pesant, ici il le fait avec élégance sans recourir à une sorte d'exposé dialogué. Lorsque les deux soeurs en viennent à collaborer malgré leur inimitié, elles se retrouvent dans une situation avec beaucoup de temps devant elles et rien à faire. Une séquence discussion au cours de laquelle la belle Marjorie prend conscience des ravages qu'elle peut faire sans le vouloir, juste parce qu'elle est une très belle femme. À sa manière, il se montre très cruel vis-à-vis de la gent masculine, avec ce pauvre Timbo réduit à une tête sans corps et côtoyant à chaque instant une femme magnifique. Il se montre sans pitié aucune contre la religion, mais sans se focaliser sur les prêtres. À aucun moment il n'oublie de raconter une histoire.

Garth Ennis est très à l'aise pour manier l'humour quand celui-ci vient en renfort de son histoire. Il l'est moins quand il écrit une comédie dans laquelle l'intrigue devient secondaire. Ici, il semble avoir trouvé comment palier cette caractéristique de son écriture. Il a trouvé le bon équilibre entre intrigue et comédie, en mettant en scène une jeune femme délurée à la vitalité imposante, et aux actes criminels totalement déculpabilisés. Il met à profit l'implication remarquable de l'artiste pour donner à voir toutes les situations rocambolesques qu'il a imaginées. Il apparaît qu'il y a bien une histoire structurée en arrière-plan qui fournit une ossature solide pour ces moments comiques de provocation, et pour une critique des religions organisées sans distinction, avec des piques bien senties contre des indignations faciles contre des offenses bénignes, des sensibilités mal dirigées ou injustes, avec la même pertinence qu'à son habitude, et plus de finesse dans la forme.