Alceste est probablement l'une des pièces où la fonction civique, morale et sociale du théâtre antique grec apparaît le plus clairement (parmi celles qui nous sont parvenues, bien entendu).
Les aspects soulevés ici sont (comme presque toujours) la déférence devant les dieux, mais aussi les règles d'hospitalité, l'observance et le respect des rituels religieux, les obligations héréditaires et conjugales (avec, pour le coup, une réponse assez ambiguë d'
Euripide) et probablement quelques autres qui m'auront échappés vu la complexité des croyances ou des règles sociales et la distance qui nous en sépare aujourd'hui.
Cependant, l'axe phare de cette pièce est bien évidemment celui du sacrifice.
Posons le décor : Admète est un roi de Thessalie, bien dans ses baskets, aimé du peuple, de ses proches et choyé par les dieux. Son père, toujours en vie, lui a légué un royaume qui fonctionne bien et ne fait pas d'histoires. le problème (parce qu'il faut bien qu'il y ait un problème dans une tragédie) c'est que les vilaines Parques, célèbres fileuses du destin des hommes, ont décidé que c'en était fini de la pelote d'Admète et qu'elles voulaient son trépas.
Heureusement celui-ci s'est fait un copain d'Apollon, lequel a su user de ses charmes auprès des Parques (l'histoire ne dit pas s'il les a " pelotées ") pour qu'elles admettent qu'Admète (je sais, les calembours foireux commencent à s'accumuler, c'est le dernier, promis) offre la vie d'un de ses proches en échange de la sienne. Manque de chance, Admète, qui lorgnait secrètement du côté de ses deux vieux parents, n'a jamais pu obtenir d'eux qu'ils acceptent de casser leur pipe à sa place.
C'est donc sa charmante épouse
Alceste qui s'y colle, devant l'enthousiasme de l'assistance, acceptant, pour la bonne cause de rejoindre le royaume souterrain d'Hadès.
Alceste, jeune, belle, bonne, secourable, admirable, maternelle, fidèle, pieuse, (et puis beaucoup d'autres qualités encore, mais bon, vous voyez le tableau), se prépare, la tête haute, à périr pour sauver son roi de mari et à abandonner aux tristes griffes du sort ses deux bambins chéris.
Euripide fait grincer les violons à pleins tubes, du lacrimosa à l'entrée, au fromage et au dessert sans oublier une double portion en plat de résistance : « Attention ! c'est elle qui va mourir, alors qu'elle était jeune, qu'on l'aimait bien et que les affreux vieux jojos avec leurs trois chicots et leurs cheveux blancs auraient bien pu se sacrifier pour sauver leur fils unique quand même » (vous aurez compris que ceci n'est pas une citation exacte du langage fleuri d'
Euripide mais une traduction nastasiesque dudit passage).
À cet égard, le passage selon moi le plus intéressant de la pièce est la confrontation entre Admète et son père Phérès, dont les arguments pour rester en vie sont loin d'être ridicules et donnent lieu à un vrai dilemme philosophique.
Cela dit, rien n'y fera, la malheureuse sera du convoi dont on ne revient pas…
Mais ce serait sans compter sur un petit coup de théâtre (à peine téléphoné, fin comme baobab, léger comme une dolmen), car, comme si le chagrin du deuil ne suffisait pas en la demeure d'Admète, qui est-ce qui vient se taper l'incruste pour le gîte et le couvert ? Je vous le donne en mille : Héraclès. Quel toupet cet Héraclès ! Mais bon, c'est Héraclès, quand même, sait-on jamais, on peut toujours avoir besoin d'un grand costaud…
Je vous laisse découvrir la fin de la pièce au cas où vous ne la connaîtriez pas. Une tragédie incontournable du répertoire classique, dont l'une des répliques (« Être et ne pas être passent cependant pour bien différents. ») est probablement à l'origine de la plus fameuse réplique shakespearienne dans Hamlet.
Et j'en finirai en vous confessant qu'elle n'est peut-être pas ce que j'aime le mieux dans le théâtre antique, loin s'en faut, mais qu'elle se laisse lire sans trop de déplaisir même si la mécanique est lourde et insistante par moments. Au demeurant, ceci n'est que mon avis du jour, et que vaudra-t-il mon misérable petit avis dans vingt-cinq siècles ?... pas grand-chose !