Devenir complice de la mort de cette jeune femme, c'était déjà terrible, mais se retrouver sur l'enquête qu'il a contribué à rendre insoluble, c'est le comble de l'horreur !
— Vas-y ! Fais-le !
Jules déglutit. Il jette un coup d’œil incertain vers son cousin, Alex, qui vient de lui lancer cet ultime encouragement.
Ils ont quatorze ans tous les deux, sont aussi inséparables et complices que des frères, malgré leurs différences frappantes. Grâce à une pratique assidue du rugby, Alex est plutôt massif, très brun, avec des cheveux mi-longs en désordre qui lui assurent un maximum de succès auprès des filles. Il est le ténébreux qui déborde d’énergie et d’idées – pas toutes raisonnables. Seule sa chance, insolente, lui a permis jusqu’à présent d’échapper aux conséquences de ses conneries les plus graves.
Jules, c’est le petit châtain, insipide, couvert d’acné, à qui on répète qu’il finira bien par grandir. En attendant ce « plus tard » qu’on lui fait miroiter, il accapare un peu de la lumière de son cousin pour exister aux yeux de tous ceux qui gravitent autour d’Alex.
Pour ne pas être condamné à l’invisibilité, il doit se reprendre. Il ne peut pas décevoir Alex. S’il le perdait, il tomberait définitivement dans l’oubli.
Jules lève son regard vers le ciel dégagé de ce mois de mai. Des traînées laissées par des avions viennent strier l’azur. Il observe la lourde pierre qu’il tient à deux mains. Ses jointures sont presque blanches à force de la serrer.
Caché derrière le parapet du pont, il hésite encore.
— C’est dangereux ?
— Mais non, pas du tout !
— T’es sûr ?
Alex soupire.
— Tu fais chier, Jules ! C’est vraiment gonflant !
ls ont quatorze ans tous les deux, sont aussi inséparables et complices que des frères, malgré leurs différences frappantes. Grâce à une pratique assidue du rugby, Alex est plutôt massif, très brun, avec des cheveux mi-longs en désordre qui lui assurent un maximum de succès auprès des filles. Il est le ténébreux qui déborde d’énergie et d’idées – pas toutes raisonnables. Seule sa chance, insolente, lui a permis jusqu’à présent d’échapper aux conséquences de ses conneries les plus graves.
Jules, c’est le petit châtain, insipide, couvert d’acné, à qui on répète qu’il finira bien par grandir. En attendant ce « plus tard » qu’on lui fait miroiter, il accapare un peu de la lumière de son cousin pour exister aux yeux de tous ceux qui gravitent autour d’Alex.
Jules n'a rien de cassé, mais il a quand même l'impression d'avoir embrassé un camion lancé à pleine vitesse. Il ne peut même pas insulter des mecs sans se faire casser la gueule publiquement. Quel naze !
Jules lève son regard vers le ciel dégagé de ce mois de mai. Des traînées laissées par des avions viennent strier l’azur. Il observe la lourde pierre qu’il tient à deux mains. Ses jointures sont presque blanches à force de la serrer.
Caché derrière le parapet du pont, il hésite encore.
— C’est dangereux ?
— Mais non, pas du tout !
— T’es sûr ?
Alex soupire.
— Tu fais chier, Jules ! C’est vraiment gonflant !
Pour ne pas être condamné à l’invisibilité, il doit se reprendre. Il ne peut pas décevoir Alex. S’il le perdait, il tomberait définitivement dans l’oubli.
Bénédicte avait eu une façon bien à elle d'alléger le fardeau de son policier de mari. Même aujourd'hui, Geoffrey ne comprend pas son choix. Pourquoi ne lui a-t-elle pas dit qu'elle était condamnée ? Estimait-elle qu'il ne changerait pas de vie pour elle et qu'il allait immanquablement la décevoir ? Avait-elle si peu foi en lui ? Accordait-elle aussi peu de crédit à l'amour qu'il lui portait ? Malheureusement, les faits lui ont donné raison : il était si impliqué dans ses enquêtes qu'il ne l'a pas vue tomber malade. Et il était bien trop tard quand il avait découvert la vérité. Le cancer foudroyant de Bénédicte était déjà en phase terminale. Il n'y avait plus rien d'autre à faire que de se préparer à l'inéluctable, dans un délai raccourci par l'incompréhensible décision de son épouse de l'exclure de son cercle de confiance.
Qu'est-ce qu'Alex peut comprendre à son besoin de reconnaissance ? Peut-il seulement imaginer la souffrance qu'il a ressentie en étant transparent aux yeux des autres pendant des années, puis le sentiment d'euphorie quand la tendance a commencé à s'inverser ? Jules ne peut plus se contenter de miettes dorénavant, il a une soif inextinguible d'exister pour lui-même, enfin.
S'ils bossent ensemble depuis si longtemps, c'est parce que, malgré son ambition dévorante, Paul ne progresse pas d'un pouce dans la hiérarchie, ce qui ne fait que renforcer son sentiment d'injustice, quand il devrait tout simplement se poser les bonnes questions.
Devenir complice de la mort de cette jeune femme, c'était déjà terrible, mais se retrouver sur l'enquête qu'il a contribué à rendre insoluble, c'est le comble de l'horreur !