Si seulement l’amour n’avait pas été mortel pour les nôtres.
Si seulement sourire n’avait pas été aussi vain.
À quoi bon sourire, derrière un masque?
(Têtes de Tigre - Cécile Duquenne)
– Non, mon fils. Tu n’es pas allé assez au nord pour connaître le Grand Froid. Le Grand Froid ne se contente pas d’attendre à la porte de ton baraquement pendant que tu chauffes la pièce avec un poêle. Il cherche à s’insinuer partout, dévore chaque centimètre de chair exposé en quelques instants, paralyse la raison et rend les hommes fous. Perdus dans le Grand Froid, seuls les plus résistants survivent.
(Le Grand Froid - Clémence Godefroy)
Depuis peu toutefois, la cité n’était plus si rieuse qu’elle l’avait été. Car le vacarme de ses fêtes éternelles avait fini par attirer l’attention d’une indésirable convive, arrivée par la mer du lointain Orient. Elle s’était d’abord hissée hors de l’eau, dans le taffetas des robes. Puis, discrètement, elle s’était mise à dérober ce que chacun possédait de plus précieux au monde ; ce n’était ni leurs richesses, ni leur renom, ni rien de ce qu’elle savait n’être que fausses idoles : elle n’emportait que leur souffle.
(Le masque de la mort noire - Claire Stassin)
À 22h04, alors qu’elle observait, enchantée, les invités évoluer sur la piste de danse, une énorme explosion se fait entendre, dont la secousse se propagea sous ses pieds et ébranla tout le bâtiment. Ses oreilles sifflèrent sous l’effet du fracas, les lustres dansèrent, les fenêtres vibrèrent, une vitre mal fixée se détacha et se brisa sur le sol. Simultanément, les musiciens s’arrêtèrent de jouer, les lumières s’éteignirent et les invités se mirent à hurler.
(En trois exemplaires - Emmanuelle Nuncq)
Du flou et du mouvement, s’exprime une luminescence douloureuse. Un blanc de fumée, un blanc de linceul, et puis la musique s’infiltre dans la transe et c’est au son d’une zumbarella bondissante que s’ouvre mon troisième œil. J’y suis. Et je me ressens dans ce temps recréé, comme si j’y avais vécu et que j’y avais mon corps entier.
(Les larmes de Lucrèce - Élie Darco)
Au creux de l’intimité de la salle d’eau, la végétation vivante ondoie, se délasse ; j’en perçois les soupirs. Je remarque qu’une orchidée exotique, aux larges corolles sombres grenat, a éclos durant mes ablutions. Ses racines aériennes dégringolent le long de ses congénères végétaux comme une chevelure. Et la fragrance qu’elle dégage me trouble de ses notes mâles. J’effleure les pétales du bout des doigts, et en approche mon visage, ils exhalent alors contre ma bouche leur parfum bouleversant. La sensualité de ce jardin fait résonner en moi un rythme enfoui, ravive une étincelle insensée.
(L'Orchidée Rouge - Maude Elyther)
J’en avais eu peur, au début, puis j’avais compris : la vie était faite pour être vue et non vécue.
Sans nos masques pour nous préserver des ravages du temps, qu’étions-nous, sinon des ruines en devenir?
(Têtes de Tigre - Cécile Duquenne)