Citations sur Widjigo (22)
— Vous devez proclamer la vérité ! lança-t-il. Vous n’êtes pas coupable, pas de ce dont le Tribunal révolutionnaire vous accuse. Depuis que vous êtes devenu marquis des Eaux-Mortes, vous n’avez fait que du bien autour de vous. […]
— Oh si, je suis coupable […]. Ce que j’ai fait… aider à réparer un toit, donner de la nourriture aux pauvres… je l’ai fait parce que je pouvais me le permettre, c’était facile au fond pour moi. Et avec mes bonnes actions, comme disent les prêtres, j’ai sans doute endormi un peu plus longtemps la révolte, ici, à ma petite mesure. J’ai contribué à faire tenir un peu plus longtemps un système injuste, tout en m’attribuant le beau rôle. La charité n’est pas la justice, et je mérite ma condamnation. Ne serait-ce que pour être honnête envers moi-même. Parce que je crois à la Révolution.
Pourtant le marmonnement des flots se frayait un passage jusqu’à lui, recouvrait tous les autres sons de l’île, de la forêt et de la plage. Les copeaux de glace crissaient en se frottant entre eux dans l’écume comme des mâchoires de milliers de dents. La marée, c’était la marée qui s’avançait.
Longtemps, je ne vais pas vous mentir, je me suis persuadé que j'étais du bon côté. Ou peut-être que je l'ai cru, sincèrement. Les contours de nos motivations sont flous également pour nous-mêmes. Surtout pour nous-mêmes, parfois. À la lisière de nos consciences s'amassent des brumes, comme sur les côtes de Bretagne, comme sur les lacs de Terre-Neuve... Parfois, au cours de notre existence, d'un coup le brouillard se lève, et nous devons faire face à ce que nous sommes vraiment.
Elle m'a montré que le monde est fait d'histoires autant que de matière. En tous lieux les histoires se mêlent à ce que nous sommes, cette Terre même que nous arpentons, ces océans au travers desquels nous lançons nos courses. Les histoires nous relient à ceux qui nous ont précédés, également, tout au long des siècles. Ceux qui ont vécu bien avant notre ère, mais aussi ceux que nous avons croisés, ceux que nous avons aimés, ou haïs, et qui sont partis avant nous.
Il se souvenait de Salaun entonnant des chansons d'une voix fausse sur les quais, du vieux Riog discutant de la morale et de la loi. Et c'était comme si on les avait puni pour cela, bien plus que pour leur trafic. Pour avoir osé avoir une voix, parler alors que cela était le privilège d'une autre classe, autant que d'échapper à l'impôt, à la misère.
Ma mort vient de plus loin. Ma mort traverse l'océan. Elle vient des glaces et des neiges. Il y a un Ankou, tu sais, là-bas. A Terre-Neuve. Ce sont des pêcheurs de Bretagne qui l'ont amené. Et d'autres créatures encore, qui étaient là bien avant nous. Qui naissent de la faim, et de la solitude
- Le Widjigo, déclara-t-il. C'est le nom que les Algonquins lui donnent. Le monstre qui nous dévore, ou que nous devenons, à force de faim, de solitude...
L'hiver lentement se refermait sur eux. Les traces animales dans la poudreuse, les empreintes des bêtes qu'ils ne voyaient jamais, qu'ils devinaient parfois entre les hauts traits d'encre des troncs, les maintenaient sur le qui-vive. Ils avançaient en intrus dans un monde qui avait vécu sans eux depuis des siècles, qui vivrait encore des siècles après eux.
L'adversaire était déjà entré dans l'océan, immergé presque jusqu'à la taille. La créature née de la faim et de la solitude, avec son estomac creusé, ses côtes saillantes, son regard vorace qu'elle avait longtemps réussi à dissumuler.
Nous racontons tous des histoires, nous les voyageurs. Nous racontons notre propre histoire sans même avoir besoin de mots, de paroles. Car le voyage nous change, nous transforme. Au fil du temps nous transportons partout avec nous les horizons que nous avons poursuivis. Dans les crevasses de nos bottes, dans les rides de notre visage, dans l'usure de nos manteaux de pluie et les cicatrices sur notre peau. Et nous en jouons, il faut être honnête.