« Un paysan, c'est un tronc d'arbre qui se déplace » disait
Jules Renard. Ce premier roman de
Marion Fayolle – «
du même bois » – s'inscrit dans ce même esprit avec une narration qui met tout à égalité : les choses et les objets s'animent, les bêtes se personnifient, les êtres s'animalisent… Animaux, murs, personnes, enfants, tous
du même bois en quelque sorte.
À l'heure où les agriculteurs reviennent au coeur de l'actualité, ce texte éclaire avec beaucoup de poésie la dure réalité de ce métier. Mais il dit aussi l'attachement à la terre et la peine que l'on peut éprouver quand il faut la quitter, se séparer du troupeau. Alors résonnent les paroles du pépé qui a souvent répété « que le jour où il n'y aura plus de bêtes, ça ne sera plus vivable ». Il aura eu la chance de mourir avant.
On suit le quotidien d'une ferme familiale, comme il en existe de moins en moins, mais qui dessine nos campagnes. Celle-ci est perchée à quelques encablures de la source de la Loire, en Ardèche. Autour du chef de famille et de son épouse, il y a les grands-parents, les enfants et un beau-frère différent. « Ici, on fait toute sa vie sous la même toiture, on naît dans le lit de gauche, on meurt dans celui de droite et entre-temps, on s'occupe des bêtes à l'étable. »
Le fil rouge est la vie de celle qu'on appellera tout au long du livre « la gamine » qui chouine et renâcle d'un quotidien tourné entièrement autour de l'élevage, de l'entretien des bêtes, des vaches qu'il faut aider à mettre bas, des poules qu'il faut nourrir, des repas qu'il faut préparer. Une vie qui ne permet pas de trop s'éloigner ou de prendre des vacances.
Alors la gamine s'évade par un imaginaire puissant qui déroute les siens…
Construit autour des chapitres thématiques qui peuvent ressembler à des nouvelles, ce roman raconte avec force détails le quotidien de ces paysans de montagne au moment où leur fin approche, où le cycle de la vie, de la naissance à la mort, va laisser la place au vide à l'heure de la crise agricole.
Le pépé, la mémé, la mère... Les personnages de
Marion Fayolle semblent tout droit sortis d'un jeu de sept familles. Aucun d'entre eux n'est désigné par un prénom ou un nom. Les personnages sont des types. Ils représentent une génération d'éleveurs. Les jeunes rêvent d'ailleurs, "imaginent une vie à eux, qui ne serait pas celle des parents, qu'ils auraient réussi à inventer tout seuls". Les vieux ne veulent pas vivre sans les bêtes et craignent le départ des jeunes.
Les perspectives radicalement différentes des personnages n'en font toutefois pas des êtres que tout oppose. Bien au contraire. Avec une démarche presque naturaliste,
Marion Fayolle questionne l'hérédité. On hérite de la terre de ses parents, de leur étable, de leur cheptel. Pas seulement. On hérite aussi d'une sensibilité, d'un tempérament volontiers taiseux mais débordant d'une humanité généreuse et directe.
Aucun dialogue ne vient troubler le récit écrit au rythme de la vie paysanne. Sans tirets ni guillemets les paroles s'insèrent à même le texte, elles font partie du tout. Il nous prend alors envie de lire à voix haute pour goûter la musicalité du texte, pour partager le quotidien des personnages, entrer dans leurs habitudes, ressentir leurs
"
Du même bois" est un joli premier roman qui dépeint la ruralité avec beaucoup de justesse, mais qui questionne aussi l'hérédité, au sens universel du terme. Un texte d'une très grande poésie sans grandes envolées lyriques et avec un vocabulaire simple.
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