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Citations sur La course à l'abîme (74)

Les deux toiles étaient assez avancées, quand le cardinal se fit annoncer. Curieux de mes procédés techniques, il examina ma palette, mes brosses, mes pinceaux. L'absence de tout dessin préparatoire le jeta dans un profond étonnement.

« Tu peins directement sur la toile ? – Directement. – Tu n’as pas appris à dessiner ? – Si mal, que je saute volontiers cette étape. – Inscris-toi dans une école. – A dire vrai, Eminence, je crois qu’un dessin préparatoire nuirait à l’effet de surprise et de vitesse que j’entends produire par mes tableaux. »
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Personne avant moi n’avait utilisé la lumière comme personnage central d’une scène peinte. Je venais d’inventer le clair-obscur.
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Pour finir, je décidai que je ne signerais pas plus mes nouvelles toiles de ce nom que je n’avais signé Merisi les anciennes. Me faire un nom, oui, selon mon vœu d’enfance. Mais ne pas l’écrire au bas de mes tableaux comme l’empreinte vaniteuse d’une volonté mûrie par le pacte conclu dans l’ombre avec mon père. Appelez-moi désormais Caravaggio, mais que ce nom invisible retentisse comme la voix d’un dieu qui doit rester caché.
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Ni ascendance ni descendance : n’exister que par mes tableaux.
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Mollassons, lâches, attachés à la médiocrité de leur état, satisfaits de leur sort, mes camarades ne m’étaient d’aucun soutien. Qu’on pût désirer être peintre sans vouloir rivaliser avec Giotto, Raphaël ou Michel-Ange, je ne l’aurais jamais cru. Ils n’avaient d’autre dieu que leur ventre. Deviner et attendre ce qui leur serait servi au dîner allumait dans leur œil morne la seule lueur un peu brillante. Ils n’aspiraient pas au dimanche comme au jour où ils auraient accès aux toiles de Lotto, de Peruzzi, de Signorelli, du Perugino, de Pinturicchio dans les églises fermées pendant la semaine. Ne songeant qu’au bonheur de trouver dans le potage de légumes quotidien quelques morceaux de bœuf bouilli, ils s’apprêtaient à faire bombance. Un plat de rougets apportait une petite révolution. Comme ils me voyaient insensible à ce bonheur, les uns me taxaient d’hypocrisie, les autres décelaient dans cette indifférence un trait odieux d’orgueil, tous m’en voulaient de n’être pas comme eux. Rêver à un autre destin que la sécurité du vivre et du couvert, c’était me désolidariser du groupe et manquer du sacro-saint esprit grégaire.
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Malgré la solitude complète où je vivais, il m’était difficile de me croire revenu à l’origine du monde, né de rien. La vue continuelle de ces tombeaux, de ces colonnes, de ces statues, l’éclat de ces vestiges disséminés dans la campagne comme un décor de théâtre, la marche silencieuse des aqueducs vers les collines qui bordaient l’horizon, tout me rappelait la présence de Rome, la grandeur de Rome, la gloire à laquelle aucun autre peuple, aucune autre nation n’a jamais atteint. Un Italien ne peut être, qu’il le veuille ou non, qu’un fils de Rome, un héritier de cette grandeur et de cette gloire, le légataire et le responsable de ce patrimoine écrasant.
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De ces contrées lointaines, Malte, Sicile, Afrique du Nord, j’avais entendu parler par ma mère. Elle me lisait le livre d’un voyageur andalou du XIIe siècle, un des rares auteurs profanes, avec Dante, Virgile, l’Arioste, le Tasse et Marco Polo, qu’elle admettait dans la maison. Dante, une seconde Bible; l’Arioste et le Tasse, poètes et apologistes des croisades; Virgile et Marco Polo, exceptions moins étranges qu’il ne paraît. Ma mère vénérait le premier, sur le motif que, seul entre les païens, il avait pressenti la venue du Christ; elle pardonnait à l’autre son intérêt excessif pour les mœurs du sérail, parce que, sous couvert de son négoce de pierres rares et d’épices, il avait propagé chez les Indiens et les Chinois la vraie religion.
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Mon corps, on ne l’a jamais retrouvé. Jeté dans la mer ? Brûlé sur la plage ? Mangé par les fourmis ? Dévoré par les loups ? Ravi par les aigles ? Veillé et emporté par quelque âme pieuse ? Enseveli en cachette puis oublié comme un chien? Les voyous que j’ai si souvent pour les peindre déguisés en anges sont-ils venus me chercher pour m’enlever au ciel ? Un autre, à ma place, se lamenterait. Privé de sépulture! Abandonné sur le sable, condamné à errer dans les limbes, avec les enfants morts sans baptême et les pécheurs privés de rédemption! Moi, au contraire, je m’estime fortuné, de n’avoir ni tombeau ni dalle funéraire. Il me plaît d’échapper aux pèlerinages et aux anniversaires. Je ne veux pas de commémorations posthumes, après avoir été honni et persécuté de mon vivant. Ce fatras d’hommages, gardez-le pour ceux que la renommée publique, les honneurs, la réussite mondaine ont favorisés. Ma mort n’ayant pas été moins mystérieuse que ma vie, l’énigme de ma destinée reste entière.
(INCIPIT)
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Ce fut ensuite au tour des chanoines. Arguments le plus souvent avancés : l’attitude « vulgaire » de saint Matthieu, les jambes croisées, les pieds sales, le « manque de décorum », défauts inacceptables pour un personnage aussi important, disciple rapproché du Christ et auteur du premier Évangile. A ces objections, auxquelles je m’attendais, il me fut aisé de répondre. Un personnage important? Mais ce n’était qu’un collecteur d’impôts, un fonctionnaire de la plus infime catégorie. Je l’avais déjà peint dans son bureau, ce piteux réduit éclairé par une seule fenêtre et meublé sommairement d’une table et de quelques sièges (j’indiquais la toile à gauche de l’autel), sans qu’aucune des nobles personnes ici présentes trouvât à y redire. Un disciple du Christ ? Mais de qui le Christ aimait-il s’entourer, sinon de gens très humbles, plus réceptifs à la lumière divine que les riches assis sur leur tas d’écus ? Et de citer plusieurs paraboles tirées de l’Évangile, le chas de l’aiguille, le repas du pharisien, « car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur », etc.

Un silence embarrassant accueillit mes paroles. En dehors du grief dont aucun ne voulait faire cas, ils ne pouvaient m’accuser au sujet du « décorum » ni me reprocher d’avoir choisi un modèle de condition sociale très modeste, sans avouer qu’ils trahissaient par le luxe de leur maison et l’effronterie de leurs dépenses l’idéal évangélique de pauvreté et de dépouillement.
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Le peuple florentin lui-même cherche constamment à s’élever à la hauteur de l’idée qu’il se fait d’une nation élue pour incarner ce que l’humanité a jamais présenté de plus noble et de plus distingué dans l’histoire. L'aménagement de trottoirs le long des rues, chose qui n’existe pas à Rome, révèle le caractère de la population. L'intelligence pratique et la prudence mesquine ont dicté cette mesure : jusque dans l’organisation matérielle de la ville, on n’oublie pas que les premiers Médicis, étant avant tout des banquiers, empilaient en tas symétriques sur leur comptoir les sequins et les doublons. Sur ces trottoirs, les gens marchent en files régulières, au lieu de se déverser en pleine rue et de mettre la pagaille entre les chevaux et les voitures. Gare à qui pose le pied sur la chaussée! Il est rappelé à l’ordre par le sergent de ville préposé à la circulation – un emploi qui ferait rire les Romains. Aux carrefours, le piéton attend, pour traverser, le signal donné par ce sergent de ville dont le bâton est peinturluré en rouge vif. Personne ainsi ne peut dire qu’il n’a pas vu le signal ni chicaner sur l’amende qu’il doit payer séance tenante, emportant pour l’archiver dans ses papiers une quittance en bonne et due forme, avec l’heure et le lieu du délit.
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