Les plus fins parmi ses camarades comprenaient qu’il fût las à l’idée de reprendre à zéro une relation, de tout recommencer, de se relancer dans une conquête ou du moins une rencontre. Faire connaissance, se raconter, donner une bonne image de soi, écouter l’autre et s’intéresser à sa vie, s’imaginer y trouver une place. Faire preuve de curiosité, taire ses inquiétudes, dépasser ses doutes, courtiser ou se laisser charmer. Avoir des idées de soirées attrayantes, faire assaut de politesse, d’élégance, d’esprit, de virilité même, donner le change quand on n’y croit pas vraiment. Ce qu’il faut livrer de soi en vue d’une relation amoureuse est énorme et incertain. Et il n’y a pas d’autre façon pour se caser. C’est toujours un peu la même chose, les mêmes regards, les mêmes rires, les mêmes rites du cinéma, du restaurant, du verre dans un bar, sans oublier de payer évidemment, et le concert qu’on aurait séché, l’exposition de peinture à laquelle on n’irait jamais seul.
Donner raison à l’autre est souvent la meilleure façon de le neutraliser.
Les habitudes se perdent difficilement mais se créent sans effort ...
La multiplication des partenaires forme l’esprit comme les voyages forment la jeunesse. Bien davantage que l’exclusivité sexuelle et la routine.
Mourir c’était perdre non seulement sa vie mais les promesses qu’elle tiendrait, c’était perdre toutes les vies.
Il raconta à Sandra comment le cercle amical l’encourageait à choisir une compagne.
—C’est la pression de conformité, la société n’aime pas les gens seuls, ça n’est pas une découverte, commenta aussitôt sa voisine.
—Et pourtant ils sont légion, remarqua Alexandre. Il y faisait plus attention depuis que c’était son lot.
—Oui, justement, ils sont vus comme des perdants, des losers que l’on plaint avec condescendance et dont l’air de rien on se méfie.
Tu me fais penser à ces bourgeois gentils avec leurs domestiques mal payés, jamais en vacances, mais qui faisaient partie de la famille.
On perd le droit de parler des autres dès qu’on les connaît intimement.
Désastre culturel, s’attristait aussi la libraire quand elle n’aimait pas les livres qu’elle vendait le plus.
Alors il s’était mis à penser à la mort en général. On en parle tellement sans la vivre, sans la connaître, qu’est-ce qu’elle est ? À force de dire qu’elle fait partie de la vie, ne l’a-t-on pas volatilisée ? Il avait le sentiment qu’il faisait la seule expérience qu’on peut en avoir : celle de la disparition d’autrui. C’était aux vivants que la mort arrachait, enlevait, c’était eux qu’elle déchirait. Il fallait être vivant pour éprouver la mort, pour se remémorer l’instant où elle avait désuni.