Seuls ceux qui raisonnent en termes d'identité (et donc d'intégrité) culturelle pensent que la collectivité nationale a besoin pour sa propre survie de la disparition des autres communautés.
Vous voilà prévenus : si vous estimez que la confusion mentale n’a jamais protégé personne de la xénophobie ; si vous vous entêtez à maintenir une hiérarchie sévère des valeurs ; si vous réagissez avec intransigeance au triomphe de l’indistinction ; s’il vous est impossible de couvrir de la même étiquette culturelle l’auteur des Essais et un empereur de la télévision, une méditation conçue pour éveiller l’esprit et un spectacle fait pour l’abrutir ; si vous ne voulez pas, quand bien même l’un serait blanc et l’autre noir, mettre un signe d’égalité entre Beethoven et Bob Marley, c’est que vous appartenez – indéfectiblement – au camp des salauds et des peine-à-jouir. Vous êtes un militant de l’ordre moral et votre attitude est trois fois criminelle : puritain, vous vous interdisez tous les plaisirs de l’existence ; despotique, vous fulminez contre ceux qui, ayant rompu avec votre morale du menu unique, ont choisi de vivre à la carte, et vous n’avez qu’un désir : freiner la marche de l’humanité vers l’autonomie ; enfin, vous partagez avec les racistes la phobie du mélange et la pratique de la discrimination : au lieu de l’encourager, vous résistez au métissage.
Ce qui est élitiste (donc intolérable) ce n'est pas de refuser la culture au peuple, c'est de refuser le label culturel à quelque distraction que ce soit. Nous vivons à l'heure des feelings : il n'y a plus ni vérité ni mensonge, ni stéréotype ni invention, ni beauté ni laideur, mais une palette infinie de plaisirs différents et égaux. La démocratie qui impliquait l'accès de tous à la culture se définit désormais par le droit de chacun à la culture de son choix.
Autre caractéristique des Temps modernes européens: la priorité de l'individu sur la société dont il est membre. (p. 140)
Et la vie avec la pensée cède doucement la place au face à face terrible et dérisoire du fanatique et du zombie.
Ma culture : l’esprit du peuple auquel j’appartiens et qui imprègne à la fois ma pensée la plus haute et les gestes les plus simples de mon existence quotidienne.
La culture : le domaine où se déroule l’activité spirituelle et créatrice de l’homme.
Cette régression serait parfaitement inoffensive, si le Jeune n’était maintenant partout : il a suffit de deux décennies pour que la dissidence envahisse la norme, pour que l’autonomie se transforme en hégémonie et que le style de vie adolescent montre la voie à l’ensemble de la société.
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