Citations sur Mélatonine (22)
Je savais que rater la rentrée littéraire de fin août signifiait sortir en octobre voire novembre, après les prix littéraires, quand plus personne ne lit. J’aurais aussi peut-être pu négocier une parution en janvier, quand tout le monde a des bons-cadeaux de Noël à écouler à la Fnac, mais d’autres y avaient pensé avant moi et le créneau était chaque année plus encombré alors je compris que c’était fini, la bouteille était vide, la partie pliée, les vacances terminées, le game over.
Il existe une bande de territoire, m'expliqua-t-elle, qui traverse la pays de la Meuse jusqu'aux Landes dans laquelle la densité de peuplement et l'espérance de vie sont très largement inférieures à la moyenne nationale. La population y souffre d'un sentiment d'abandon et d'un désespoir chronique qui s'accompagnent d'une consommation record d'anxiolytiques et d'antidépresseurs couplée à un fort taux d'alcoolisme et de diabète de type 2. Si tu veux un décor vraiment sinistre pour faire mouiller la France qui lit, c'est exactement ce qu'il te faut, Marcel.
[Pascal FIORETTO, "Mélatonine", Robert Laffont, 2019 - page 42]
''Le titre est bon, rien à dire, commença-t'il, c'est flatteur pour le lecteur, ça fait intelligent, prophétique, on va pouvoir faire réagir des sociologues, des politiques, organiser des débats, Agathe Vonak-Lacavaliere peut en tirer sans problème quatre cents notes didactiques pour l'édition scolaire chez Granier-Glammarion ..." Je commençais à respirer un peu plus tranquillement ; il ajouta que les premières pages étaient pas mal, l'arrivée dans le pavillon, le coup des classes moyennes déclassées, l'ambiance France des invisibles, c'était habile, ça changeait des paysans à bout et des conflits libidino-sociaux ...Il avala une rasade, fit claquer sa langue et s'essuya la bouche dans le creux de son coude. "Mais tout le reste est à chier, Marcel..., lâcha-t'il sans me regarder. Les courses, la bagnole, les bourdieuseries de comptoir, tu l'as déjà fait mille fois. Pas un people, pas une transgression un peu inattendue, rien à refiler pour les reprises presse... On dirait un mauvais pastiche de tes trois derniers bouquins. Tu as changé, mon vieux, et le bonheur ne convient pas à tout le monde."
[...] et quand ce fut mon tour de passer au shampoing, nous n'étions plus qu'elle et moi dans le salon, "Cendrillon" de Téléphone passait sur Evasion Pays de Breuil FM et elle me demanda si la "températchure" de l'eau me convenait et je dissimulai tant bien que mal ma bite en béton dans les plis de la blouse qu'elle m'avait nouée autour du cou ; comme je l'avais plus ou moins deviné, elle avait bien une odeur de rousse, capiteuse, épicée, vanillée, enivrante. " Vous les coiffez comment d'habitchude ? " me demanda-t-elle en m'examinant dans le miroir. J'ai hésité un instant et puis je ne sais pas ce qui m'a pris, je me suis lancé sans lui demander la permission en essayant de planquer mon érection de de ne pas trébucher avec ma blouse et je suis allé chercher le vieux "Closer" que j'avais abandonné sur le petit canapé noir, je l'ai ouvert à la page "Les nuits de Closer" et je lui ai montré une photo de moi au bras d'Evelyne Dhéliat à l'anniversaire de Massimo Gargia. " Je voudrais me coiffer comme lui... ", j'ai dit. Elle me jeta un regard un peu perplexe, mélange d'amusement et d'une sorte d'indulgence.
" Qui c'est ce type ?
‒ Euh... un écrivain...
‒ Ah, c'est pour ça que le connaissais pas, soupira-t-elle, soulagée. Moi et la littératchure...
[Pascal FIORETTO, "Mélatonine, éd. Robert Laffont, page 95 - extrait de scénette se déroulant au salon "Imp'hair à tifs" de Morneuil-le-Vieil]
En feuilletant "Le Parisien", je découvris que la maison de Xavier Dupont de Ligonnès était de nouveau en vente, cent trente mètres carrés, cinq chambres, un jardin de trois cent mètres carrés dans un quartier prisé de Nantes pour quatre cent soixante-dix-neuf mille euros honoraires inclus. J'appelai l'agence Guy Hoquet qui m'informa qu'Emmanuel Carrère avait déjà fait une offre mais que je pouvais renchérir si je le souhaitais car son éditeur n'avait toujours pas signé la promesse de vente. L'idée d'habiter les lieux du quintuple meurtre familial suivi par la disparition du principal suspect me tenta fugacement mais je renonçai. Je crois que les familles nucléaires traditionnelles, même enterrées sous la terrasse, ce n'était pas trop mon truc.
[Pascal FIORETTO, "Mélatonine", Robert Laffont, 2019 - pages 27-28]
« Quand y en a pour deux, y en a pour trois. » Foie gras poêlé flambé au calvados, poulet de Bresse crème et morilles, coupe de fruits rouges, mignardises et glace à la vanille maison, le tout arrosé de quatre ou cinq bouteilles de meursault (1995, il me semble). Les deux invertis savaient vivre.
Il retourna son livre dont la couverture était gondolée et les pages cornées. L’âge de l’ersatz de William Morris. C’est le texte d’une conférence qu’il a donnée en 1894. Il y démontre la présence croissante des « faux » et il explique que le fait de nous en accommoder forme ce que nous appelons notre civilisation.
Cela faisait près de vingt ans que Sylviane et moi nous étions perdus de vue, elle parut pourtant à peine surprise de m’entendre et me proposa de venir déjeuner chez elle le jour même. Il était un peu plus de dix heures, il me restait quelques heures à tuer en essayant de me souvenir comment nous nous étions quittés au cas où elle y ferait allusion.
Sylviane avait vingt-trois ans quand elle m’avait sucé pour la première fois en TD de statistiques ou de philologie comparée, peu importe. Je l’avais rencontrée à la fac de Paris-VIII où j’étudiais le droit constitutionnel ou l’anglais du XVIIIe, j’ai oublié, elle, la géographie, et nous avions pris l’habitude de réviser ensemble après les cours.
Il y avait aussi le Sud mais cela signifiait écrire au soleil (enfin, pas à lui directement mais dans sa lumière) et je connaissais les effets d’une exposition régulière aux UVB : la vitamine D qui recommence à se synthétiser, une amélioration significative du métabolisme lipidique, de la fréquence cardiaque et de la tension artérielle et dans la même dynamique vitale, l’énergie et la sérénité qui reviennent, tout ce que je cherchais absolument à éviter.