Citations sur La liseuse de visages (30)
— Maman ?
Elle se tourna vers elle mais ne put distinguer son visage, aveuglée.
Elle voulut crier et se sauver et pleurer, tout en même temps.
Mais il était trop tard pour presque tout cela.
Elle était trop engourdie pour se lever.
Le froid de la voie ferrée où elles gisaient lui avait paralysé bras et jambes. Et les phares du train de marchandises qui fonçait vers elles dans l’obscurité étaient beaucoup, beaucoup trop proches.
« Blankenthal est parvenu hier soir, au terme d’une évasion spectaculaire, à s’échapper de l’unité hospitalière sécurisée de Buch, dans le quartier de Pankow. Cet homme de cinquante-sept ans est un criminel hautement manipulateur, et donc extrêmement dangereux, auquel personne – c’est notre demande pressante – ne doit tenter de s’opposer. Si vous le voyez, ne jouez pas les héros. Ne vous mettez pas en danger. Appelez tout de suite la police. Voici un portrait de Blankenthal datant de quelques années. »
Le petit garçon à côté d’elle restait muet, alors que c’était sur sa tempe que reposait le canon de l’arme du criminel. Hannah n’eut pas besoin de réfléchir pour retrouver son prénom. C’était Paul. Son fils de cinq ans.
Ici, le silence prit fin. Pourtant, le lien invisible se resserra encore autour du cou d’Hannah. Les bruits qui lui parvenaient étaient totalement inédits. Ils ne convenaient pas du tout à ce lieu où les enfants étaient censés être joyeux. Bien sûr, il y avait parfois des colères ou des larmes, quand un petit trébuchait et s’écorchait le genou, par exemple. Mais de quoi venait ce chuintement ininterrompu qui, à mieux y écouter, semblait composé d’au moins trois éléments : des chuchotements, des gémissements et des sanglots ?
Elle traversa le vestiaire pour atteindre la salle principale, ouvrit la dernière porte et vit le preneur d’otages fou en même temps qu’elle l’entendit hurler :
— Dites-moi qui c’était ! Ou je vous descends tous les deux !
— Mais vous avez tué des gens !
Il en convint, l’air affligé.
— Ces deux patients le méritaient. Des criminels de la pire espèce. Officiellement, des piliers de la société, des citoyens respectables, mais j’avais pu parler à leurs épouses avant les opérations. J’ai vu les blessures qu’ils leur avaient infligées, à elles et à leurs enfants. Alors j’ai rendu service à la société en les opérant sans prendre de gants…
— Vous êtes un malade mental. Je viens de l’entendre aux informations. Le pays entier le sait.
Il prit une profonde inspiration. Une veine battait à sa tempe.
— Vous ne devriez pas croire ce que les médias colportent à mon sujet.
— Donc, vous n’êtes pas un faux chirurgien qui s’excite en voyant des corps humains éventrés ?
— Mon Dieu, non ! Je suis un imposteur. En cela, je plaide coupable. Je n’ai jamais fait d’études, pourtant, je maîtrise bien mieux certaines techniques chirurgicales et possède plus de connaissances médicales que la plupart de mes confrères diplômés.
— Mais vous avez tué des gens !
Il en convint, l’air affligé.
La pomme d’Adam saillante de Blankenthal remua quand il déglutit lourdement.
— Mais je ne les ai pas éventrés à cause d’une pulsion sadique, rien de tel… (Nouvelle déglutition.) C’est un mensonge que les enquêteurs ont transmis intentionnellement aux journaux à scandale. Le jeune procureur voulait se faire un nom avec sa première grosse affaire, à mes dépens. Il a changé les victimes en héros et a fait de moi un monstre, pour tirer profit d’une condamnation spectaculaire.
— Et je suis censée vous croire ?
— Comment pourrais-je vous tromper, vous, madame Herbst ?
— Que voulez-vous dire ?
— C’est vous l’experte, ici. Même si je le voulais, je serais incapable de vous mentir.
« Hier, Blankenthal a été admis à l’hôpital pénitentiaire sur un soupçon d’attaque cérébrale, poursuivait le commissaire Stoya. Nous supposons qu’il n’a fait que simuler les symptômes et est en parfaite santé. À la clinique, il est parvenu à neutraliser ses surveillants et la docteure de garde. Il a fracturé un casier contenant des vêtements médicaux et s’est de nouveau déguisé en chirurgien. Je vais vous relater en détail les modalités de son évasion, qui apportent la preuve de son intelligence supérieure. »
« Lutz Blankenthal est un sociopathe récidiviste et un sadique. »
Diffamé et abandonné, il se sentit au bout du rouleau, tant professionnellement que dans sa vie privée. On ne sut jamais s’il avait réellement commis des attouchements, mais il était évident qu’une personne sujette à de tels accès d’agressivité ne pourrait jamais travailler avec des enfants. Il avait une tendance pathologique à la violence, et en plus, sa colère se manifestait de manière aveugle et aléatoire. Il avait attrapé Samira et Paul au hasard, ils avaient eu la malchance de se trouver près de lui au mauvais moment.