A ses disciples, il aimait montrer une carte postale sur laquelle on pouvait voir un naïf, un péquenot, dans une chambre d'hôtel essayant de souffler une ampoule électrique comme une chandelle. "Si vous attaquez le symptôme directement, vous agissez comme cet homme, leur disait Freud. Vous devez chercher l'interrupteur."
[L']amitié [de Marie Bonaparte] l'accompagnera jusque dans la mort, puisque c'est dans le cratère grec qu'elle lui offrit pour ses soixante-quinze ans que reposent toujours ses cendres.
Par la position sociale, politique ou artistique qu'ils ont occupée dans la société viennoise, par les oeuvres qu'ils ont laissées, eux ou leurs proches, ils sont souvent plus "visibles" que d'autres. Mais il serait hâtif et erroné d'en conclure que Freud n'a attiré à lui que d'autres Juifs. Ce sont des artistes, des intellectuels, bien sûr, des gens plus modestes et moins cultivés eux aussi, mais surtout, toujours des êtres blessés, à la recherche d'une réconciliation intérieure, qui sont venus s"'allonger à la Berggasse.
Désormais, il n'y a plus d'anecdotes, de "petites histoires" mais l'intensité d'un savoir nouveau, né du quotidien.
Freud est toujours ailleurs, son identité est irréductible à un espace clos ; il n'est jamais là où on pense pouvoir le cerner. On le croit sur le chemin de Rome mais il marche aux côtés de son père sur le trottoir de Freiberg. Quand il regarde Athènes, Jérusalem lui trouble la vue.
On ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où l'on va.
Bien sûr, il n'est pas interdit de croire que les lieux où Freud se tait, ses continents noirs, ses tâches aveugles, les sujets rebelles à l'énonciation le racontent plus sûrement que tout autre discours autobiographique. Mais ces choses-là se vivent et peut-être même ont-elles besoin de se taire pour être vécues.
Tels son culte des antiquités et la métaphore archéologique qui revient, obsédante, dans sa quête d'une vérité psychanalytique : fouiller, creuser plus profondément encore dans l'inconscient pour en exhumer le plus archaïque fragment, l'ultime trace enfoui du passé. Ce monde de rêve qui lui apporte « dans les combats de la vie, une consolation insurpassée ». Et analyse-t-on impunément ses consolations, qu'elles se nomment cigares, lettres, objets antiques ou chasse aux champignons ?
(Champignons, gardénia ou fraise des bois)
J'ai été capable de vaincre mon destin d'une manière indirecte et j'ai réalisé mon rêve : rester un homme de lettre sous les apparences d'un médecin.
(Vienne entre deux séances)
Freud est fasciné par les hommes qui, entre l'art et la science, trouvent l'immortalité, tels Léonard de Vinci ou Goethe. Il envie aux poètes leurs connaissances intérieures de l’inconscient, alors que lui, parce qu'il est engagé sur l'austère voie scientifique, doit se battre pour mettre en forme ses intuitions et justifier ses idées sur les fonctionnements de l'âme humaine par des raisonnements et des démonstrations. Il ne lui suffit pas de raconter des histoires, de nouer des intrigues, de bâtir des drames.
(Vienne entre deux séances)
Freud évite autant qu'il le peut de téléphoner et jamais cet instrument ne l'empêche de prendre son style à large plume pour s'adresser à ses amis. Il n'utilise d'ailleurs pas davantage la machine à écrire et ne s'intéresse pas plus à la radio, qu'il n'écouta avec attention qu'à l'occasion de graves événements politiques.