Un parfum de soufre

«La vie n'est qu'une tartine de merde, tu dois t'en becter chaque jour une bouchee», lui avait répété le paternel durant toute son enfance.

- T'as rien à rajouter?
- Mon frère dort en paix.

J’ai parlé de la corruption des forces de l’ordre, mais les politiques aussi furent complaisants avec Saanee. Il faut dire qu’il était d’origine pakistanaise et qu’une partie de sa famille est restée influente auprès du régime d’Islamabad. À l’occasion des attentats du « 11 Septembre indien », en 2008, il donna un coup de pouce aux services de renseignements. Grâce à lui, les autorités remontèrent sur la trace d’un groupe islamiste installé au Pakistan.

C’est à cet instant qu’il sentit une main l’agripper par les cheveux et lui tirer violemment la tête en arrière. La douleur déchira le voile qui embrumait son esprit. Il vit les ligatures qui maintenaient ses chevilles et ses poignets à la chaise. Il n’était vêtu que de son caleçon. Son jean était roulé en boule dans un coin de la pièce, sa chemise, écharpée et tachée de sang, gisait au sol.
Un ruban adhésif, sommairement posé sur sa bouche, lui masquait une narine. Il peinait à respirer. Il devait se calmer, économiser son souffle.
Il faisait incroyablement lourd. On devinait le vol lancinant des mouches et une odeur étrange, malsaine, tout autour.

À Nantes, c’était l’hiver. Un brouillard dense recouvrait le quai des Antilles. Les Anneaux de Buren – symboles du passé négrier de la ville – perçaient la brume du petit jour.
Isabelle Mayet, jolie quadragénaire à la chevelure blonde et frisée, remonta la capuche de son survêtement et accéléra l’allure. Elle longea le palais de justice, si familier, et s’engagea avec une pointe d’appréhension sur la passerelle au-dessus des eaux grises de la Loire avant de rejoindre le centre-ville.

Elle entra dans la salle de bains, se déshabilla et machinalement vérifia la présence de son Sig-Sauer dans sa boîte sécurisée, dissimulée entre deux serviettes. Depuis qu’elle avait été victime d’une agression1, peu après son arrivée à Nantes, elle gardait son arme chez elle plutôt que dans l’armoire forte de la police judiciaire de Nantes.
Isabelle alluma la douche et passa sous le jet fumant. Dans le salon, Tony Bennett et Amy Winehouse murmuraient les paroles de « Body and Soul ».

Avec le gyrophare et le deux tons, la voiture de la brigade criminelle mit à peine vingt minutes pour rejoindre l’établissement. Isabelle était assaillie par l’angoisse ; durant tout le trajet, elle avait bombardé Charolles de questions auxquelles il n’avait su répondre. Le message des pandores était laconique : les pompiers avaient trouvé une pensionnaire des Agapanthes carbonisée dans son lit, l’origine du feu était inconnue. Plusieurs éléments avaient incité le procureur à requérir d’urgence la PJ de Nante

À l’emplacement du buste : disparition complète des parties molles dans un épais tapis de résidus pulvérulents. Les os de la cage thoracique sont presque entièrement calcinés. L’avant-bras est préservé ; présence d’un bracelet de quatorze perles de couleur blanche autour du poignet. Le bijou est congloméré dans la chair. Il sera notre scellé numéro 2 lors de son extraction, durant l’autopsie. Au final, nous ne constatons ni blessure apparente ni trace de liens.
Isabelle fit un pas en arrière pour s’affranchir une seconde de l’odeur.
— J’aimerais la retourner, mais j’ai peur que tout me reste dans les mains. On va attendre qu’Hugo soit là pour les photos.
Bruno hocha la tête sans répondre, il s’agaçait à tenter de déplier un fauteuil roulant, rangé dans un coin.

Isabelle s’approcha du lit et porta le micro à ses lèvres.
— Soixante-dix pour cent du corps est réduit à l’état de cendre : identification anthropométrique impossible. La taille initiale pourrait être d’un mètre soixante environ. Seuls n’ont pas brûlé la calotte du crâne, où pend une touffe abondante et grise de cheveux, les membres inférieurs – au niveau des genoux – et l’avant-bras droit. Observons des chicots épars dans un reste de mâchoire. Nous en prélevons quatre aux fins de comparaison ultérieure avec le dossier dentaire de la victime. Disons qu’ils constituent le scellé numéro 1. Du fait de la chaleur intense, les articulations sont fracturées à hauteur des jointures supérieures et inférieures.

À mon âge, je n’ai plus grand-chose à escompter et je n’ai aucune envie d’être muté à l’autre bout du pays. Un poste à l’Information générale me rapprocherait de la préfecture de Nantes. J’ai intérêt à m’y faire des alliés dès maintenant.